Une histoire
singulière. Une décision conforme à la politique de délaissement des
territoires.
En un
demi-siècle, on ne compte plus les déclarations remplies de certitudes à propos
de ce projet d’aéroport. Elles ont donné libre cours aux affirmations les plus
justes comme aux plus approximatives.
Au gré
des années, les résistances n’ont cessé de prendre l’ampleur qu’on connaît :
manifestations, occupations, recours juridiques et confrontations à très hauts
risques … Il est probable que nous en ayons définitivement terminé avec cette
ultime décision gouvernementale du 17 janvier 2018.
Bien plus
encore que le Carnet (1978), Plogoff (1980), ou le canal Rhin - Rhône (1995-97),
Notre-Dame-des-Landes est le cas d’école du parfait enlisement politique. Il n’est
plus utile de s’attarder sur les bons et mauvais arguments entre les innombrables
contradicteurs. Convenons tout de même qu’après 50 années d’atermoiements aussi
surprenants qu’improbables, Notre-Dame-des-Landes était devenu hors
d’époque ; plus que jamais inadapté aux défis de la transition écologique
qui s’impose à tous. Bref, le dossier « NdL » n’avait plus la moindre
crédibilité ; sauf bien sûr pour les riverains d’aéroports.
Sur la
méthode, faut-il voir dans la « décision du prince » une dérobade ou
une certaine forme de courage pour construire enfin une alternative crédible à
ce projet manifestement trop daté ? Pour l’histoire, nous retiendrons que
la relance de cette infrastructure faisait déjà suite à l’abandon d’un projet
de troisième plateforme parisienne près de Chartres en Eure-et-Loir. Après
cette autre déconvenue, on reparla de Notre-Dame-des-Landes courant 1997. Il
faut également inscrire les causes de cet ultime revers au fait des
concurrences les plus âpres que se livrent toutes les métropoles … depuis
l’Antiquité ! Nantes et Rennes n’échappent pas à la règle. Le timide ralliement
rennais date seulement de 2000, lorsque le dossier de la Ligne à Grande Vitesse
jusqu’à Rennes fut définitivement tranché. Nombre de responsables politiques se
souviennent encore de la colère du Maire de Nantes à l’époque, voyant la LGV
lui échapper. Notre-Dame-des-Landes est ainsi réapparu dans la liste des
priorités au titre des compensations en infrastructures destinées à la grande
agglomération de l’Ouest Atlantique.
Dès le début
des années 90, la décision de construire une voie ferrée à Grande Vitesse avait
ouvert l’hypothèse d’un tracé plus au Sud de Rennes. Une autre localisation du hub
aéroportuaire aurait pu dégager la piste d’un compromis près du barycentre des
trois villes que sont Angers, Rennes et Nantes. Le rejet de cette alternative
restée quasi confidentielle n’a tenu que l’espace de quelques mois. Elle était semble
t-il bien trop défavorable à la Bretagne Nord alors que Brest n’a jamais été
mis en cause.
Pendant
ce temps là, Tous les spécialistes admettent enfin que le site de
Notre-Dame-des-Landes est devenu un immense réservoir de la biodiversité
végétale et animale. En 2018, la remise en cause d’un tel espace bocager de
1 700 hectares n’est plus acceptable. Les activités agricoles qui ont
perduré et les nouvelles qui s’y sont implantées doivent être confortées.
C’est
un écosystème unique, voire exceptionnel. Il ne faut pas seulement le protéger,
il doit devenir un laboratoire d’agro-écologie appliquée exemplaire. Nous en
avons d’autant plus besoin que nous sommes dans une région dont les modèles
agro environnementaux font débat. Nombre d’acteurs publics comme privés sont
d’ores et déjà prêts à s’engager pour en faire un lieu d’expérimentations
pluridisciplinaires.
La fin de l’État stratège pour un
développement équilibré de tous les territoires.
Sur le
fond, il nous est permis de retenir une seule question pour l’avenir. C’est une
décision d’État, strictement conforme aux choix d’abandonner les grands schémas
d’aménagement du territoire. En neuf mois d’exercice du pouvoir, les premiers
signes de l’action gouvernementale tournent invariablement le dos aux grands programmes
d’investissements stratégiques. Certes, il est vrai que les analyses
prospectives et audacieuses ne sont plus d’époque. Durant les années 1960 à 80,
ce sont pourtant celles-ci qui ont impulsé un véritable renouveau dans
l’approche des politiques régionales pour un développement économique et social
plus équilibré entre les territoires.
Renoncer à construire l’aéroport de
Notre-Dame-des-Landes ne peut clore le débat sur l’aménagement des territoires
et les indispensables infrastructures d’avenir dans un monde
« durable ».
Concernant
notre interprétation de l’actuelle gouvernance présidentielle, au-delà des
exercices de style destinés à faire illusion, il est tout de même saisissant de
mesurer ce qu’est le vrai fond de cette politique. Ce sont des choix qui traduisent
une certaine conception du service public à minima. A regret, le volontarisme
politique n’est plus, hormis dans le champ du modèle social de la France et de tant
d’autres pays que ce régime entend remettre en cause. Il n’y a rien de
surprenant à cela puisque cette tendance de fond s’affirmait déjà très
nettement avec les premières lois Macron de dérèglementation économique en 2015.
Cette dérégulation ultralibérale a franchi un nouveau palier avec les lois El Khomri
de 2016 puis lors des « ordonnances travail », fin 2017. C’est aussi la
même inspiration idéologique du « laisser-faire » qui justifie maintenant
l’abrogation de la fiscalité locale dont nul ne conteste les vertus redistributives
et solidaires à l’échelon local ; celui des « proximités » par
excellence.
A ce
rythme, ce sera l’inéluctable décrochage économique, social puis démographique des
territoires périphériques. Tous les élus locaux ont déjà très largement pris la
mesure de cette volonté persistante et peu commune d’en finir avec l’action
publique locale ; voire même nationale dans certains domaines, tel que celui
de la santé. Ainsi, l’État confisque les ressources des collectivités pour mieux
les contrôler … les soumettre, puis les anéantir. Il est même permis
d’envisager que ce gouvernement pourrait prochainement inciter à la
privatisation des services publics, fatalement contraints à la défaillance par
manque programmé de moyens. Ainsi, le néolibéralisme décomplexé s’impose au gré
du temps.
Après
toutes ces années de crispations, de reniements, et de malentendus politiques,
il est indispensable de reprendre les études prospectives et de retenir les nouvelles
démarches imaginatives qui consistent à établir de vrais schémas d’aménagement
et de cohérence territoriale ; autrement plus collaboratifs pour l’avenir !
L’Ouest,
comme toutes nos régions ont besoin de nouveaux projets. Il nous faut les raisonner
en termes d’éco-responsabilités au sens économique comme bien sûr écologique. A
défaut, nous en reviendrons à ce tropisme récurrent qu’est le centralisme d’État
contre la province. Il est impératif que les pouvoirs publics se ressaisissent
enfin pour imaginer une dynamique territoriale renouvelée, tellement mise à mal
en 10 ans de désindustrialisation et de crises économiques successives. Avec ce
gouvernement qui a tout à démontrer en matière d’aménagement et de développement
économique au service de tous les citoyens, le décrochage territorial
comme toutes les fractures sociales en devenir sont de réelles menaces.
Plus
encore qu’hier, il nous faut d’abord compter sur le pragmatisme et l’engagement
de toutes les forces vives de nos communes, départements et régions, proches de
la réalité du terrain pour changer la donne.
Philippe
Bonnin,
Maire
de Chartres de Bretagne
Conseiller
départemental non inscrit d’Ille et Vilaine ;
Ancien
Vice-président chargé des infrastructures puis de l’économie de 2008 à 2015.