jeudi 15 février 2018

L’aéroport de Notre-Dame-des-Landes

Une histoire singulière. Une décision conforme à la politique de délaissement des territoires.
En un demi-siècle, on ne compte plus les déclarations remplies de certitudes à propos de ce projet d’aéroport. Elles ont donné libre cours aux affirmations les plus justes comme aux plus approximatives.
Au gré des années, les résistances n’ont cessé de prendre l’ampleur qu’on connaît : manifestations, occupations, recours juridiques et confrontations à très hauts risques … Il est probable que nous en ayons définitivement terminé avec cette ultime décision gouvernementale du 17 janvier 2018.
Bien plus encore que le Carnet (1978), Plogoff (1980), ou le canal Rhin - Rhône (1995-97), Notre-Dame-des-Landes est le cas d’école du parfait enlisement politique. Il n’est plus utile de s’attarder sur les bons et mauvais arguments entre les innombrables contradicteurs. Convenons tout de même qu’après 50 années d’atermoiements aussi surprenants qu’improbables, Notre-Dame-des-Landes était devenu hors d’époque ; plus que jamais inadapté aux défis de la transition écologique qui s’impose à tous. Bref, le dossier « NdL » n’avait plus la moindre crédibilité ; sauf bien sûr pour les riverains d’aéroports.
Sur la méthode, faut-il voir dans la « décision du prince » une dérobade ou une certaine forme de courage pour construire enfin une alternative crédible à ce projet manifestement trop daté ? Pour l’histoire, nous retiendrons que la relance de cette infrastructure faisait déjà suite à l’abandon d’un projet de troisième plateforme parisienne près de Chartres en Eure-et-Loir. Après cette autre déconvenue, on reparla de Notre-Dame-des-Landes courant 1997. Il faut également inscrire les causes de cet ultime revers au fait des concurrences les plus âpres que se livrent toutes les métropoles … depuis l’Antiquité ! Nantes et Rennes n’échappent pas à la règle. Le timide ralliement rennais date seulement de 2000, lorsque le dossier de la Ligne à Grande Vitesse jusqu’à Rennes fut définitivement tranché. Nombre de responsables politiques se souviennent encore de la colère du Maire de Nantes à l’époque, voyant la LGV lui échapper. Notre-Dame-des-Landes est ainsi réapparu dans la liste des priorités au titre des compensations en infrastructures destinées à la grande agglomération de l’Ouest Atlantique.
Dès le début des années 90, la décision de construire une voie ferrée à Grande Vitesse avait ouvert l’hypothèse d’un tracé plus au Sud de Rennes. Une autre localisation du hub aéroportuaire aurait pu dégager la piste d’un compromis près du barycentre des trois villes que sont Angers, Rennes et Nantes. Le rejet de cette alternative restée quasi confidentielle n’a tenu que l’espace de quelques mois. Elle était semble t-il bien trop défavorable à la Bretagne Nord alors que Brest n’a jamais été mis en cause.
Pendant ce temps là, Tous les spécialistes admettent enfin que le site de Notre-Dame-des-Landes est devenu un immense réservoir de la biodiversité végétale et animale. En 2018, la remise en cause d’un tel espace bocager de 1 700 hectares n’est plus acceptable. Les activités agricoles qui ont perduré et les nouvelles qui s’y sont implantées doivent être confortées.
C’est un écosystème unique, voire exceptionnel. Il ne faut pas seulement le protéger, il doit devenir un laboratoire d’agro-écologie appliquée exemplaire. Nous en avons d’autant plus besoin que nous sommes dans une région dont les modèles agro environnementaux font débat. Nombre d’acteurs publics comme privés sont d’ores et déjà prêts à s’engager pour en faire un lieu d’expérimentations pluridisciplinaires.

La fin de l’État stratège pour un développement équilibré de tous les territoires.
Sur le fond, il nous est permis de retenir une seule question pour l’avenir. C’est une décision d’État, strictement conforme aux choix d’abandonner les grands schémas d’aménagement du territoire. En neuf mois d’exercice du pouvoir, les premiers signes de l’action gouvernementale tournent invariablement le dos aux grands programmes d’investissements stratégiques. Certes, il est vrai que les analyses prospectives et audacieuses ne sont plus d’époque. Durant les années 1960 à 80, ce sont pourtant celles-ci qui ont impulsé un véritable renouveau dans l’approche des politiques régionales pour un développement économique et social plus équilibré entre les territoires.
Renoncer à construire l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes ne peut clore le débat sur l’aménagement des territoires et les indispensables infrastructures d’avenir dans un monde « durable ».
Concernant notre interprétation de l’actuelle gouvernance présidentielle, au-delà des exercices de style destinés à faire illusion, il est tout de même saisissant de mesurer ce qu’est le vrai fond de cette politique. Ce sont des choix qui traduisent une certaine conception du service public à minima. A regret, le volontarisme politique n’est plus, hormis dans le champ du modèle social de la France et de tant d’autres pays que ce régime entend remettre en cause. Il n’y a rien de surprenant à cela puisque cette tendance de fond s’affirmait déjà très nettement avec les premières lois Macron de dérèglementation économique en 2015. Cette dérégulation ultralibérale a franchi un nouveau palier avec les lois El Khomri de 2016 puis lors des « ordonnances travail », fin 2017. C’est aussi la même inspiration idéologique du « laisser-faire » qui justifie maintenant l’abrogation de la fiscalité locale dont nul ne conteste les vertus redistributives et solidaires à l’échelon local ; celui des « proximités » par excellence.
A ce rythme, ce sera l’inéluctable décrochage économique, social puis démographique des territoires périphériques. Tous les élus locaux ont déjà très largement pris la mesure de cette volonté persistante et peu commune d’en finir avec l’action publique locale ; voire même nationale dans certains domaines, tel que celui de la santé. Ainsi, l’État confisque les ressources des collectivités pour mieux les contrôler … les soumettre, puis les anéantir. Il est même permis d’envisager que ce gouvernement pourrait prochainement inciter à la privatisation des services publics, fatalement contraints à la défaillance par manque programmé de moyens. Ainsi, le néolibéralisme décomplexé s’impose au gré du temps.

Après toutes ces années de crispations, de reniements, et de malentendus politiques, il est indispensable de reprendre les études prospectives et de retenir les nouvelles démarches imaginatives qui consistent à établir de vrais schémas d’aménagement et de cohérence territoriale ; autrement plus collaboratifs pour l’avenir !
L’Ouest, comme toutes nos régions ont besoin de nouveaux projets. Il nous faut les raisonner en termes d’éco-responsabilités au sens économique comme bien sûr écologique. A défaut, nous en reviendrons à ce tropisme récurrent qu’est le centralisme d’État contre la province. Il est impératif que les pouvoirs publics se ressaisissent enfin pour imaginer une dynamique territoriale renouvelée, tellement mise à mal en 10 ans de désindustrialisation et de crises économiques successives. Avec ce gouvernement qui a tout à démontrer en matière d’aménagement et de développement économique au service de tous les citoyens, le décrochage territorial comme toutes les fractures sociales en devenir sont de réelles menaces.
Plus encore qu’hier, il nous faut d’abord compter sur le pragmatisme et l’engagement de toutes les forces vives de nos communes, départements et régions, proches de la réalité du terrain pour changer la donne.

Philippe Bonnin,
Maire de Chartres de Bretagne
Conseiller départemental non inscrit d’Ille et Vilaine ;
Ancien Vice-président chargé des infrastructures puis de l’économie de 2008 à 2015.