mardi 5 décembre 2017

L’évasion fiscale. Du scandale au lieu commun ; « banalité » !

Le problème de l’évasion fiscale est de la plus haute importance pour l’économie nationale et plus. Les uns parlent de fraude, d’autres « d’habiles pratiques d’optimisation fiscale » puisqu’il s’agit de jouer avec des lois « perméables » à souhait. D’aucuns parleront de « lois complaisantes ».
Du 6 au 10 novembre 2017, nous sommes passés des révélations scandaleuses à la banalisation de faits ordinaires. Au gré des jours, les meilleurs acteurs politiques en vue dans toutes les sphères du pouvoir ont réussi à retourner la question pour en faire un « non évènement » médiatique parfait … Pourtant, ce sont quelques 300 milliards d’euros dissimulés ; évaporés ([1]) ! « Mondialisation oblige chers amis, tout n’est assurément pas que profit national ! ».
Ainsi, dans l’opacité abyssale du « non-droit » international, telle la gangrène, les affaires prospèrent avec cette cupidité stupéfiante ; sans retenue ! Certains n’y verront certainement qu’avantages …
La question des paradis fiscaux n’aurait donc plus d’intérêt ou de connotation négative ? Choquant ! … En réalité, c’est l’aveu d’un échec manifeste.
Pendant ce temps, sans discontinuer, tous « ceux qui ne sont rien » créent avec intelligence et de leurs propres mains la valeur des milliards de biens et services produits chaque jour sur la planète. Ce sont eux qui concourent à cette accumulation croissante d’excédents financiers confisqués. Silencieux et méprisés, ils en sont d’ailleurs réduits à regarder, ou plutôt subir l’implacable processus de dilapidation des ressources et du fruit de leur travail dévalorisé.
Aujourd’hui, le vaste pillage social et environnemental planétaire se gère contradictoirement entre l’intérêt public, dit pour tous d’un côté et celui bien compris des élites néolibérales de l’autre … Ce sont là nos « premiers de cordée », évidemment flamboyants ; ces nouveaux « maîtres du Monde » !
C’est encore la même manière de voir et de faire qui s’impose entre les possédants et les dominés lorsque nos élites étincelantes se défaussent à souhait de leurs devoirs et responsabilités devant :
·     l’inéluctable progression de la crise climatique dont ils portent l’essentiel de la responsabilité ; certes collective ([2]) !
·       devant l’augmentation indécente de la précarité et des inégalités,
·       ou encore face à l’ampleur des dettes publiques irrécouvrables.

D’où vient la dette si ce n’est pour partie de la dissimulation fiscale à grande échelle ?

La dette publique n’est autre que la reprise à la charge de l’État des dettes privées ; cet État qui en fait supporter le coût aux collectivités proches des gens ; des citoyens modestes.
Nous l’entendons de toutes parts, en 2017 l’impôt serait devenu la fausse bonne idée ; l’idée d’un autre temps … Chacun voit bien pourquoi … Alors, ils nous disent : « Osons la modernité, faisons de la politique autrement » ! Tient donc, depuis 6 mois n’aurions nous pas vu le changement avec cette belle et prétendue renaissance démocratique, version macronienne, nationale et populaire ? … Indéniablement, c’est tout le contraire. Nous voilà propulsé dans les affres d’un 19ème siècle mondialisé ! L’œuvre monumentale de Zola n’est jamais bien loin.
Le changement n’est donc qu’un leurre de communication …
Mais chacun pourra très vite en établir les contours. Les politiques locales au plus près de ceux qui ont le plus besoin de la solidarité collective pour grandir ou survivre doivent être révisées … remises en cause !
Ainsi, la « nouvelle politique » économique et sociale du régime néolibéral en place se résume à la baisse arbitraire (thatchérienne !) de la dépense publique. Une dépense publique pourtant considérée voici quelques décennies encore comme le moteur de l’aménagement et de l’attractivité des territoires, le levier déterminant pour soutenir les nécessaires investissements productifs, le véritable outil au service de l’éducation et de la cohésion sociale. Sous le couvert de sa pseudo-modernité, la « politique faite autrement » du pouvoir : ce sont des sacrifices supplémentaires demandés aux salariés et indépendants « ubérisés » pour « mieux attirer et optimiser l’investissement productif » ; certes, parce qu’il nous faudrait créer de nouveau le soi-disant « choc d’offre » quantitatif comme qualitatif.
Mais aujourd’hui, les résultats ou plutôt la conséquence ne souffrent d’aucune équivoque : le désinvestissement s’amplifie de toutes parts ; les délocalisations prospèrent comme rarement, le déficit du commerce extérieur se creuse ([3]) … comme la dette ! Les sacrifices demandés pour conforter cette superbe « déréglementation compétitive » du travail occupé par les plus modestes : ce sont des marges croissantes pour d’autres ; pour des bénéfices fiscalisés à minima (« light ! ») … mais ailleurs ([4]) ! L’optimisation fiscale tourne ainsi à plein régime … Mais depuis ces 20 dernières années, jamais pour l’investissement et le développement du pays.
Finalement, n’en serions-nous qu’au début d’un nouveau monde ? Mais pour qui et pourquoi ? Serait-ce la nouvelle théorie vertueuse pour initier une économie plus solidaire, plus circulaire, plus technologique ; pour une crise climatique enfin maîtrisée, pour une société du véritable plein emploi ; plus forte et plus juste ?
Derrière le vernis séduisant du discours policé, c’est tout l’inverse.

Philippe Bonnin

([1]) - d’autres avancent le chiffre de 600 milliards.

([2]) - Les 10% les plus riches rejettent 50% du CO2 - Oxfam 2015.


([3]) - Commerce extérieur de la France 2015 : - 45,2 milliards d’euros ; 2016 : - 48,4 milliards d’euros.
2017 : - 21,3 milliards d’euros pour le 1er semestre contre - 17,5 milliards d’euros pour le 1er semestre de 2016.

([4]) - « La fraude fiscale ferait perdre à la France entre 60 et 100 milliards d’euros par an, selon différents rapports. Soit un peu plus de 3% du PIB ». Entretien avec J.M. Monnier - Université Panthéon-Sorbonne ; revue « Capital » - juin 2016.