le 19
mars 2013
Intervention de
Philippe Bonnin,
Maire de Chartres de
Bretagne
Conseiller Général du Canton
de Bruz
Chers collègues,
Mesdames, Messieurs,
Merci pour votre présence.
Personne ne doute
que nous sommes confrontés à la dure réalité d’une crise économique de
dimension internationale. Chacun en mesure l’impact sur notre industrie
automobile. Dans ce contexte particulièrement sensible, il m’est apparu
opportun de vous inviter ce soir de sorte que nous prenions un temps de
réflexion sur les conséquences de la situation dans nos territoires. Certes,
une telle réunion ne changera pas la réalité immédiate. Mais ne rien dire, ne
rien faire pour alerter sur l’évolution de la filière automobile en Ille et
Vilaine et bien sûr pour l’ensemble des emplois directs et indirects concernés
ne serait pas responsable.
Alors, merci à
chacun d’entre vous d’être venu. Permettez-moi de vous dire que je n’ai pas
pris cette initiative pour justifier tel ou tel point de vue ou posture en
matière de politique industrielle, ou tel choix de politique économique. Il
n’en demeure pas moins que nous savons l’importance des décisions
macroéconomiques pour la vie des entreprises et donc pour l’emploi dans nos
communes, départements et régions.
Pour une approche territoriale de l’industrie
automobile
En ce qui me
concerne, parler de territoires automobiles, c’est bien entendu élargir le
sujet à toutes les activités de production automobile, mais également aux
activités de sous-traitance. De même, il ne s’agit pas d’aborder ce soir le
sujet sous l’approche d’échanges quelque peu convenus autour des mutations
économiques, entre autre pour disserter sur l’ancienne et la nouvelle
économie ; comme si l’industrie automobile (l’ancienne !) n’avait plus d’avenir. A ce propos,
rappelons-nous qu’à l’échelle de seulement quelques décennies, l’industrie de
l’électronique de pointe (la
nouvelle !) n’a fait ici, comme ailleurs en France et même en Europe,
qu’un passage éphémère avant de rejoindre les nouveaux pays industriels d’Asie.
Regardez ce qu’est devenu le champion des équipements téléphoniques Alcatel :
un industriel sans usines comme se plaisait à le dire son patron de l’époque :
Serge Tchuruk ! Pas encore disparue de notre mémoire industrielle et
collective, rappelons-nous l’épopée Mitsubishi à Vitré, la liquidation du
dernier site de production de Thomson-Technicolor Angers fin 2012. Et je
citerai encore les Motorola, ou autres ST-Micro-Electronics à Rennes… Ce ne
sont là que de malheureuses mutations industrielles au sein même de la « nouvelle
économie » … pas aussi triomphante qu’on le dit parfois !
Revenons à la
vielle économie de production automobile, pourtant bien présente à l’échelle
mondiale avec ses 84 millions de véhicules vendus en 2012 et tout de même 16 millions
en Europe.
Dès la première
crise de 2008, nous avions attiré l’attention des responsables les plus
éclairés sur les risques de déclin de l’industrie automobile en France. Pour ce
faire, avec quelques collègues et le soutien de Jean-Louis Tourenne, président
du Conseil général, j’avais pris l’initiative de mobiliser tous les acteurs des
territoires automobiles. Notre ambition était de coopérer, de faire de la
prospective et su besoin : de dessiner des éléments de stratégie d’avenir
pour porter ainsi des projets collectifs qui puissent aller dans le sens d’une
vraie politique industrielle ; Une politique de projet, cohérente et
déterminée.
Nos travaux se
sont articulés autour d’un diagnostique :
- le constat d’une France devenue importatrice nette d’automobiles au milieu des années 2000,
- le constat d'un coût de main d’œuvre comparable à la référence allemande dans le secteur industriel et même, bien plus élevé en Allemagne dans le secteur automobile.
|
- Egalement, nous avons évalué les enjeux des nouvelles mobilités et avancé des propositions sur leur financement.
Sur ce dernier
point, la France a des atouts du fait de sa force dans les segments des
véhicules de moyenne gamme qui constituent l’essentiel du marché de masse (les segments B & C). Certes, nous savons bien évidemment qu’il s’agit
du secteur le plus concurrentiel ; d’où l’importance d’innover, tant en
produits qu’en process pour gagner en compétitivité. Pour cela, nous pensons
qu’il est opportun de soutenir la filière, comme l’Etat a su le faire dans bien
d’autres grands secteurs de l’Industrie :
®
l’aéronautique,
®
le ferroviaire
®
et même la navale.
Toujours à ce
sujet, n’oubliez pas les soutiens publics quasi permanents dans le domaine de
l’immobilier (la défiscalisation des
investissements dans la pierre) et par conséquent à la construction.
Enfin, je ne serai
pas complet si je ne parlais pas des filières agricoles et agro-alimentaires
accompagnées par des politiques européennes substantielles ; au moins
jusqu’à ces dernières années.
La recherche du paritarisme dans la filière
automobile
En matière d’industrie
automobile, comme dans bien d’autres domaines, c’est grâce à un paritarisme
sans faille qui associe les industriels certes, mais aussi les pouvoirs publics,
tant nationaux que locaux (c'est-à-dire nos
collectivités), qu’il nous faut avancer.
C’est ainsi que
nous avons développé dans le livre blanc de l’ACSIA tout un chapitre qui milite
pour le redéploiement automobile français au travers d’un partenariat dont
aucun acteur ne peut se passer et certainement pas les constructeurs.
Ainsi, nous demandons :
·
de réarmer l’Etat
pour rendre possible le paritarisme,
·
de ramener les
constructeurs dans un jeu plus équilibré avec tous les partenaires, dont les
sous-traitants et les partenaires sociaux,
·
d’adosser le
développement de l’industrie automobile à la structuration des « nouvelles
mobilités »,
· et enfin de développer la recherche, la culture du
partenariat et de l’innovation pour redonner à la filière automobile des
avantages concurrentiels et une force à la mesure de sa diversité.
Quand à la situation en ce
début 2013, et après avoir développé tous ces pré-requis, force est de
constater que nous ne sommes pas plus entendus aujourd’hui que nous l’étions
hier. En réalité, tout ceci m’importerait bien peu si les hésitations actuelles
ne conduisaient pas des milliers de salariés vers des solutions palliatives à
la perte de leur emploi ou plus directement : au chômage !
Si mon propos en
surprend quelques uns, je tiens à vous dire très simplement que mes choix ne
relèvent nullement de l’opportunisme politique, mais du seul intérêt de faire
des propositions constructives pour sortir du marasme ambiant et qui s’appuient
sur des projets crédibles.
Désindustrialisation et avenir de la filière
Faut-il vous dire de nouveau
qu’après les annonces de PSA Peugeot Citroën en juillet 2012 puis Renault ces dernières
semaines, nous sommes confrontés à l’implacable réalité d’un processus de
désindustrialisation sans précédent dans le secteur automobile. En dépit des
accords sur la baisse des salaires contre la garantie d’emploi, dès 2014,
Renault pourrait fabriquer plus de véhicules au Maroc qu’il n’en construit en
France, c'est-à-dire 400 000… La situation est d’autant plus préoccupante
que la filière automobile a su générer un maillage de sous-traitance, de
recherche-et-développement, ainsi que des services qui concernent un effectif
proche du million d’emplois directs dans l’hexagone. Certes, des engagements de
fabrications ont été formulés en contrepartie d’ajustements salariaux. Mais au
rythme où s’engage le processus de paupérisation de la population salariée,
voire de la population toute entière, il n’est plus exclu qu’on laisse pour des
mois encore nos usines dans un état de sursis, faute de reprise significative
du marché automobile. L’usine PSA de Chartres de Bretagne est dans cette exacte
situation.
Dans un contexte de poursuite d’une
politique européenne d’austérité comme jamais connue depuis 50 ans, il faudra
nous expliquer où va se trouver le nécessaire pouvoir d’achat pour toutes les
catégories sociales dans ce pays. Et qu’enfin nous reprenions le chemin de
quelque cycle vertueux de croissance animé par la consommation et l’achat
d’automobiles.
Nous constatons tous que les
politiques économiques divergent de plus en plus. « Alors que les pays émergents comme les Etats-Unis, maintiennent
des choix d’investissements publics et de crédit facile, en espérant sur une
rapide reprise économique pour récupérer les fruits de ces politiques, l’Europe
s’est mise à l’austérité »([1]). La baisse des salaires et la réduction des dépenses
publiques deviennent le leitmotiv. D’ores et déjà, les européens en paient le
prix fort avec une plongée inégalée dans la récession. Pire, au sein de l’union,
« les divergences sur la politique à
mener met en exergue des intérêts divergents qui reflètent clairement les grandes
disparités économiques et sociales ». Tel que le souligne Antoine
Reverchon dans le Monde daté du 12 mars, « ces
divergences rallument les crispations entre les zones monétaires et les pays ;
chacun tentant d’obtenir les meilleures conditions de compétitivité au moyen
des dévaluations quand c’est possible ou bien en abaissant le coût du travail »…
alors que les revenus sont déjà bien écornés depuis des années par la
stagnation des économies européennes.
Des secteurs industriels en pâtissent et pas des moindres tel que
l’automobile.
A toutes fins utiles, c’est la raison pour laquelle nous avions lancé courant 2011 la
rédaction de ce livre blanc destiné à formuler des propositions, si modestes
soient-elles. Nous avions communiqué sur ces travaux courant juin 2012.
Ainsi, nous avons porté un
diagnostic comme tant d’autres depuis cette époque. De fait, et comme vous le
savez, après les communications sur l’état très dégradé des activités
industrielles et commerciales de Peugeot-Citroën, des rapports d’analyse de la
filière ont été établis. Nous nous félicitons que des propositions, même
limitées, en soient ressorties. Malheureusement, elles ne sont pas à la hauteur
du défi auquel nous sommes collectivement confrontés.
Il s’agit bien de mettre un terme à
la désindustrialisation automobile et d’engager un vrai projet partenarial avec
l’ensemble des acteurs mobilisés : partenaires sociaux, Etat et
territoires.
Comme, nous l’avons souligné avec
l’Association des Collectivités Sites d’Industrie Automobile en début d’année, une
implication déterminante des pouvoirs publics dans cette filière en plein marasme
sera dans tous les cas autrement moins onéreuse que de subir l’inexorable repli
d’une industrie non substituable par d’autres activités tellement hypothétiques
au stade où nous en sommes de la crise ; et ce dans un pays comme le
nôtre.
En clair, nous attendons de l’Etat
qu’il élabore enfin sa propre expertise, de sorte qu’il engage ou implique tous
les partenaires dans une stratégie ambitieuse, susceptible de sortir enfin la
filière du très mauvais pas dans lequel elle se trouve.
Des
changements deviennent nécessaires, voire impératifs en matière de politique
industrielle automobile. L’ACSIA formule des propositions qu’il nous faut
étudier et engager dans les semaines et mois à venir. Toutes ces propositions
ou recommandations reprennent les argumentaires que nous venons de développer.
Nos propositions pour une filière
automobile restaurée
·
Engager une
restructuration paritaire de la filière, notamment en travaillant sur la
fiscalité automobile. Le but est de la rendre plus verte et plus apte à
soutenir les efforts des constructeurs français et des collectivités.
·
Progresser
vers une mobilité durable et accessible à tous.
·
Mettre en
place les programmes de recherche transversaux et la mise en réseau des acteurs
de la filière pour redonner à l’industrie automobile française et européenne
une avance technologique décisive par rapport à ses concurrents mondiaux.
·
Contribuer
très activement à l’émergence de nouvelles chaînes de valeur et de nouveaux
ensembles d’acteurs capables :
§
de porter
une croissance automobile verte,
§
de
construire et valoriser à l’international le savoir-faire français dans ce
domaine.
·
Regagner
500 000 véhicules / an ; en renouvelant l’approche du
marché par les segments B, B2 & M1.
·
Retrouver
une situation d’excédent commercial qui permettra de ne pas fermer de sites.
· « Endiguer » les risques de
délocalisation vers les Nouveaux Etats Membres (NEM) de l’Europe en initiant une diplomatie
automobile qui promeut la croissance des débouchés locaux au nom du développement
durable.
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PSA Peugeot
Citroën à Chartres de Bretagne
Juillet 1958 : décision d’implantation au Nord Ouest
de La commune
Surface de la commune 1 018 HA dont PSA 240 HA Surface bâtie de
l’usine : 75 HA
Dans les années 60 – 70 14 000 emplois
Dans les années 80 : l’Ouest (Bretagne-Pays de Loire) compte
100 000 emplois en relation directe avec la filière automobile. La « Janais »
à Chartres de Bretagne en est devenu l’acteur principal.
Þ 11,9 millions de véhicules fabriqués depuis 1961 à fin 2012
Les emplois dans l’usine Les
emplois directs en
Ille et Vilaine
2006 11 800 27 000
2008 8 300
2010 6 800
2012 5 600 12 000
En 2010, les salariés de l’usine résidaient dans :
· 248 communes d’Ille et
Vilaine,
· 40 du Morbihan,
· 21 des Côtes d’Armor
· et 13 de la Loire
Atlantique
Ces communes percevaient 7 millions
d’euros répartis à proportion du nombre de salariés résidents. Les
collectivités les moins bien dotées en ressources fiscales percevaient une seconde
dotation de 12 millions (10 M€
pour l’Ille et Vilaine).
La répartition s’effectuait selon des règles établies par chacun des Conseils
Généraux respectifs.
L’histoire
du Fonds Département de Péréquation de la Taxe Professionnelle (TP) est issue
de règles législatives relatives à l’écrêtement des bases fiscales de la
commune de Chartres de Bretagne jusqu’en 1992.
A
l’issue de mise en place de la TP communautaire (1992), il a été instauré un prélèvement
sur les recettes de TP de Rennes Métropole et correspondant exactement aux
bases de PSA recensées dans la commune de Chartres. Depuis l’abrogation de la
Taxe Professionnelle, ces ressources ont été converties en dotations de
compensation d’Etat.
La mobilisation de tous les élus
Ce soir, votre
participation montre l’attachement de tous à la vie économique de nos communes
et à tout ce qui en découle. En effet, c’est bien le dynamisme économique d’un
territoire qui nous permet d’engager des actions publiques à la hauteur de la
demande sociale ; Qu’il s’agisse des politiques éducative, culturelle,
sociale et bien évidement de nos politiques d’investissements. Ce sont autant
de facteurs qui concourent à la qualité de vie, à l’attractivité de nos territoires
et, de ce fait à la compétitivité de nos entreprises. Une compétitivité forte
de notre soutien à l’aménagement économique, à la formation, l’innovation et
l’aide au financement de l’économie à l’échelle communale, intercommunale et en
appui avec les autres grandes collectivités territoriales que sont les
départements et depuis quelques années les régions. En ce sens, l’histoire des
automobiles Citroën à Chartres de Bretagne en Ille et Vilaine reste et restera
un véritable cas d’école dans l’Ouest.
En Ille et
Vilaine, l’attention des maires, notre attention à l’industrie ne date pas
d’hier. Tout le montre quand je vois ou entend les messages qui sont les vôtres
quant à mes choix avec la municipalité chartraine qui vous accueille pour
donner un avenir à « l’usine Citroën », comme elle est encore bien
souvent appelée.
Notre rencontre
est sous le signe de notre soutien aux salariés de la filière automobile du
département d’Ille et Vilaine et du principal donneur d’ordre qu’est l’usine
PSA.
Le 23 avril 2012,
j’organisais une séance extraordinaire du Conseil municipal pour alerter sur le
risque d’une crise dans le secteur automobile et qui fatalement toucherait
l’usine de notre commune. A l’époque, nombre de responsables politiques n’ont
pas manqué de s’interroger sur une telle initiative. Depuis cette période, la
succession d’évènements, tous aussi préoccupants les uns que les autres n’a
cessé de s’enchaîner.
·
Juillet 2012 avec l’annonce de fermeture, de
chômage partiel et de plans sociaux.
·
Dans ce même mois de juillet, je m’inquiétais de la
capacité du groupe à trouver seul une solution de sortie. Les critiques, entre
autres gouvernementales, ont alors fusées !
·
En tout état de cause, voyez où nous en étions encore
courant octobre avec les garanties d’Etat accordées (c'est-à-dire celles des contribuables) à la banque PSA Finances
pour que le Groupe continue à commercialiser ses fabrications.
·
Egalement, personne n’oublie les cessions d’actifs
industriels et les dépréciations d’autres.
·
Personne n’oublie l’émission obligataire de ces
semaines passées pour trouver un milliard d’argent frais et continuer le combat
pour donner ainsi un avenir au Groupe ; un avenir qu’il nous appartient de
défendre ensemble et ici-même.
Aujourd’hui, il ne
sert à rien d’accabler les responsables, mais qu’au moins le discours ne soit
plus dans le ton ou la forme du déni.
Il nous faut
contribuer à la définition d’un projet. Mais faut-il que le Groupe PSA nous
fasse des propositions sur le devenir et ses projets pour l’usine de Chartres.
En effet, des questions restent en suspens :
·
sur les investissements annoncés depuis fort bien
longtemps,
·
sur la mise en production d’un nouveau modèle,
·
ou encore sur le transfert dans le site de la
Janais d’activités de conception et de fabrication d’outils, principalement
pour l’emboutissage et le ferrage.
Mesdames,
Messieurs les Maires, il est normal que nous parlions de diversification
industrielle du site, sous réserve de compatibilité avec la poursuite des
fabrications automobiles ; c’est bien là un point dur qu’il nous
appartient de ne pas abandonner. De même, les projets pour la Janais ne doivent
pas se faire au détriment de vos territoires, en incitant à « déménager »
des entreprises pour saisir des « effets d’aubaine ». Tous acteurs du
développement économique, nous savons que ce type de compétition entre les
territoires ne mène nulle part. Et pour conclure, je me félicite que nos
collectivités soient toutes attentives aux projets qui nous attendent, car il
en va de l’avenir de tous : nos entreprises, les salariés, les familles et
nos territoires.