vendredi 22 mars 2013

Réunion débat sur l’avenir de PSA à Chartres de Bretagne et la filière automobile en Ille et Vilaine



                                                                                         le 19 mars 2013


Intervention de Philippe Bonnin,

                      Maire de Chartres de Bretagne

                      Conseiller Général du Canton de Bruz



Chers collègues, Mesdames, Messieurs,



Merci pour votre présence.


Personne ne doute que nous sommes confrontés à la dure réalité d’une crise économique de dimension internationale. Chacun en mesure l’impact sur notre industrie automobile. Dans ce contexte particulièrement sensible, il m’est apparu opportun de vous inviter ce soir de sorte que nous prenions un temps de réflexion sur les conséquences de la situation dans nos territoires. Certes, une telle réunion ne changera pas la réalité immédiate. Mais ne rien dire, ne rien faire pour alerter sur l’évolution de la filière automobile en Ille et Vilaine et bien sûr pour l’ensemble des emplois directs et indirects concernés ne serait pas responsable.
Alors, merci à chacun d’entre vous d’être venu. Permettez-moi de vous dire que je n’ai pas pris cette initiative pour justifier tel ou tel point de vue ou posture en matière de politique industrielle, ou tel choix de politique économique. Il n’en demeure pas moins que nous savons l’importance des décisions macroéconomiques pour la vie des entreprises et donc pour l’emploi dans nos communes, départements et régions.


Pour une approche territoriale de l’industrie automobile


En ce qui me concerne, parler de territoires automobiles, c’est bien entendu élargir le sujet à toutes les activités de production automobile, mais également aux activités de sous-traitance. De même, il ne s’agit pas d’aborder ce soir le sujet sous l’approche d’échanges quelque peu convenus autour des mutations économiques, entre autre pour disserter sur l’ancienne et la nouvelle économie ; comme si l’industrie automobile (l’ancienne !) n’avait plus d’avenir. A ce propos, rappelons-nous qu’à l’échelle de seulement quelques décennies, l’industrie de l’électronique de pointe (la nouvelle !) n’a fait ici, comme ailleurs en France et même en Europe, qu’un passage éphémère avant de rejoindre les nouveaux pays industriels d’Asie. Regardez ce qu’est devenu le champion des équipements téléphoniques Alcatel : un industriel sans usines comme se plaisait à le dire son patron de l’époque : Serge Tchuruk ! Pas encore disparue de notre mémoire industrielle et collective, rappelons-nous l’épopée Mitsubishi à Vitré, la liquidation du dernier site de production de Thomson-Technicolor Angers fin 2012. Et je citerai encore les Motorola, ou autres ST-Micro-Electronics à Rennes… Ce ne sont là que de malheureuses mutations industrielles au sein même de la « nouvelle économie » … pas aussi triomphante qu’on le dit parfois !
Revenons à la vielle économie de production automobile, pourtant bien présente à l’échelle mondiale avec ses 84 millions de véhicules vendus en 2012 et tout de même 16 millions en Europe.
Dès la première crise de 2008, nous avions attiré l’attention des responsables les plus éclairés sur les risques de déclin de l’industrie automobile en France. Pour ce faire, avec quelques collègues et le soutien de Jean-Louis Tourenne, président du Conseil général, j’avais pris l’initiative de mobiliser tous les acteurs des territoires automobiles. Notre ambition était de coopérer, de faire de la prospective et su besoin : de dessiner des éléments de stratégie d’avenir pour porter ainsi des projets collectifs qui puissent aller dans le sens d’une vraie politique industrielle ; Une politique de projet, cohérente et déterminée.

Nos travaux se sont articulés autour d’un diagnostique :

  • le constat d’une France devenue importatrice nette d’automobiles au milieu des années 2000,
  • le constat d'un coût de main d’œuvre comparable à la référence allemande dans le secteur industriel et même, bien plus élevé en Allemagne dans le secteur automobile.









Matières 1ères et coût des composants                        55 %
Frais d’études, frais généraux & marge                      30 %
Main d’œuvre directe                                                                9 %
Fiscalité et amortissements                                            3 %
Coûts de fabrication (charges des usines,
logistique amont)                                                                                 3 %

Source : usine nouvelle fév 2010
 
 
  Enfin, nous avons analysé les forces et les faiblesses des constructeurs ainsi que des acteurs de la sous-traitance, qui d’ailleurs ont bien mieux résisté à la concurrence internationale.

  • Egalement, nous avons évalué les enjeux des nouvelles mobilités et avancé des propositions sur leur financement.


Sur ce dernier point, la France a des atouts du fait de sa force dans les segments des véhicules de moyenne gamme qui constituent l’essentiel du marché de masse (les segments B & C). Certes, nous savons bien évidemment qu’il s’agit du secteur le plus concurrentiel ; d’où l’importance d’innover, tant en produits qu’en process pour gagner en compétitivité. Pour cela, nous pensons qu’il est opportun de soutenir la filière, comme l’Etat a su le faire dans bien d’autres grands secteurs de l’Industrie :

®   l’aéronautique,

®   le ferroviaire

®   et même la navale.


Toujours à ce sujet, n’oubliez pas les soutiens publics quasi permanents dans le domaine de l’immobilier (la défiscalisation des investissements dans la pierre) et par conséquent à la construction.

Enfin, je ne serai pas complet si je ne parlais pas des filières agricoles et agro-alimentaires accompagnées par des politiques européennes substantielles ; au moins jusqu’à ces dernières années.


La recherche du paritarisme dans la filière automobile


En matière d’industrie automobile, comme dans bien d’autres domaines, c’est grâce à un paritarisme sans faille qui associe les industriels certes, mais aussi les pouvoirs publics, tant nationaux que locaux (c'est-à-dire nos collectivités), qu’il nous faut avancer.


C’est ainsi que nous avons développé dans le livre blanc de l’ACSIA tout un chapitre qui milite pour le redéploiement automobile français au travers d’un partenariat dont aucun acteur ne peut se passer et certainement pas les constructeurs.


Ainsi, nous demandons :


·       de réarmer l’Etat pour rendre possible le paritarisme,

·       de ramener les constructeurs dans un jeu plus équilibré avec tous les partenaires, dont les sous-traitants et les partenaires sociaux,

·       d’adosser le développement de l’industrie automobile à la structuration des « nouvelles mobilités »,

·       et enfin de développer la recherche, la culture du partenariat et de l’innovation pour redonner à la filière automobile des avantages concurrentiels et une force à la mesure de sa diversité.


Quand à la situation en ce début 2013, et après avoir développé tous ces pré-requis, force est de constater que nous ne sommes pas plus entendus aujourd’hui que nous l’étions hier. En réalité, tout ceci m’importerait bien peu si les hésitations actuelles ne conduisaient pas des milliers de salariés vers des solutions palliatives à la perte de leur emploi ou plus directement : au chômage !


Si mon propos en surprend quelques uns, je tiens à vous dire très simplement que mes choix ne relèvent nullement de l’opportunisme politique, mais du seul intérêt de faire des propositions constructives pour sortir du marasme ambiant et qui s’appuient sur des projets crédibles.


Désindustrialisation et avenir de la filière


Faut-il vous dire de nouveau qu’après les annonces de PSA Peugeot Citroën en juillet 2012 puis Renault ces dernières semaines, nous sommes confrontés à l’implacable réalité d’un processus de désindustrialisation sans précédent dans le secteur automobile. En dépit des accords sur la baisse des salaires contre la garantie d’emploi, dès 2014, Renault pourrait fabriquer plus de véhicules au Maroc qu’il n’en construit en France, c'est-à-dire 400 000… La situation est d’autant plus préoccupante que la filière automobile a su générer un maillage de sous-traitance, de recherche-et-développement, ainsi que des services qui concernent un effectif proche du million d’emplois directs dans l’hexagone. Certes, des engagements de fabrications ont été formulés en contrepartie d’ajustements salariaux. Mais au rythme où s’engage le processus de paupérisation de la population salariée, voire de la population toute entière, il n’est plus exclu qu’on laisse pour des mois encore nos usines dans un état de sursis, faute de reprise significative du marché automobile. L’usine PSA de Chartres de Bretagne est dans cette exacte situation.


Dans un contexte de poursuite d’une politique européenne d’austérité comme jamais connue depuis 50 ans, il faudra nous expliquer où va se trouver le nécessaire pouvoir d’achat pour toutes les catégories sociales dans ce pays. Et qu’enfin nous reprenions le chemin de quelque cycle vertueux de croissance animé par la consommation et l’achat d’automobiles.


Nous constatons tous que les politiques économiques divergent de plus en plus. « Alors que les pays émergents comme les Etats-Unis, maintiennent des choix d’investissements publics et de crédit facile, en espérant sur une rapide reprise économique pour récupérer les fruits de ces politiques, l’Europe s’est mise à l’austérité »([1]). La baisse des salaires et la réduction des dépenses publiques deviennent le leitmotiv. D’ores et déjà, les européens en paient le prix fort avec une plongée inégalée dans la récession. Pire, au sein de l’union, « les divergences sur la politique à mener met en exergue des intérêts divergents qui reflètent clairement les grandes disparités économiques et sociales ». Tel que le souligne Antoine Reverchon dans le Monde daté du 12 mars, « ces divergences rallument les crispations entre les zones monétaires et les pays ; chacun tentant d’obtenir les meilleures conditions de compétitivité au moyen des dévaluations quand c’est possible ou bien en abaissant le coût du travail »… alors que les revenus sont déjà bien écornés depuis des années par la stagnation des économies européennes.


Des secteurs industriels en pâtissent et pas des moindres tel que l’automobile.


A toutes fins utiles, c’est la raison pour laquelle nous avions lancé courant 2011 la rédaction de ce livre blanc destiné à formuler des propositions, si modestes soient-elles. Nous avions communiqué sur ces travaux courant juin 2012.

Ainsi, nous avons porté un diagnostic comme tant d’autres depuis cette époque. De fait, et comme vous le savez, après les communications sur l’état très dégradé des activités industrielles et commerciales de Peugeot-Citroën, des rapports d’analyse de la filière ont été établis. Nous nous félicitons que des propositions, même limitées, en soient ressorties. Malheureusement, elles ne sont pas à la hauteur du défi auquel nous sommes collectivement confrontés.


Il s’agit bien de mettre un terme à la désindustrialisation automobile et d’engager un vrai projet partenarial avec l’ensemble des acteurs mobilisés : partenaires sociaux, Etat et territoires.


Comme, nous l’avons souligné avec l’Association des Collectivités Sites d’Industrie Automobile en début d’année, une implication déterminante des pouvoirs publics dans cette filière en plein marasme sera dans tous les cas autrement moins onéreuse que de subir l’inexorable repli d’une industrie non substituable par d’autres activités tellement hypothétiques au stade où nous en sommes de la crise ; et ce dans un pays comme le nôtre.


En clair, nous attendons de l’Etat qu’il élabore enfin sa propre expertise, de sorte qu’il engage ou implique tous les partenaires dans une stratégie ambitieuse, susceptible de sortir enfin la filière du très mauvais pas dans lequel elle se trouve.


Des changements deviennent nécessaires, voire impératifs en matière de politique industrielle automobile. L’ACSIA formule des propositions qu’il nous faut étudier et engager dans les semaines et mois à venir. Toutes ces propositions ou recommandations reprennent les argumentaires que nous venons de développer.



Nos propositions pour une filière automobile restaurée



·       Engager une restructuration paritaire de la filière, notamment en travaillant sur la fiscalité automobile. Le but est de la rendre plus verte et plus apte à soutenir les efforts des constructeurs français et des collectivités.



·       Progresser vers une mobilité durable et accessible à tous.



·       Mettre en place les programmes de recherche transversaux et la mise en réseau des acteurs de la filière pour redonner à l’industrie automobile française et européenne une avance technologique décisive par rapport à ses concurrents mondiaux.



·       Contribuer très activement à l’émergence de nouvelles chaînes de valeur et de nouveaux ensembles d’acteurs capables :



§       de porter une croissance automobile verte,

§       de construire et valoriser à l’international le savoir-faire français dans ce domaine.



·       Regagner 500 000 véhicules / an ; en renouvelant l’approche du marché par les segments B, B2 & M1.



·       Retrouver une situation d’excédent commercial qui permettra de ne pas fermer de sites.



·       « Endiguer » les risques de délocalisation vers les Nouveaux Etats Membres (NEM) de l’Europe en initiant une diplomatie automobile qui promeut la croissance des débouchés locaux au nom du développement durable.




 




PSA Peugeot Citroën à Chartres de Bretagne



Juillet 1958 :                     décision d’implantation au Nord Ouest de La commune



10 sept. 1960 :                 Visite inaugurale de l’usine par le Général de Gaulle, Président de la République.



Surface de la commune    1 018 HA dont PSA 240 HA Surface bâtie de l’usine : 75 HA



Dans les années 60 – 70                      14 000 emplois



Dans les années 80 :        l’Ouest (Bretagne-Pays de Loire) compte 100 000 emplois en relation directe avec la filière automobile. La « Janais » à Chartres de Bretagne en est devenu l’acteur principal.



Þ   11,9 millions de véhicules fabriqués depuis 1961 à fin 2012






Les emplois dans l’usine                       Les emplois directs en

Ille et Vilaine



2006            11 800                                                 27 000

2008              8 300

2010              6 800

2012              5 600                                                 12 000




En 2010, les salariés de l’usine résidaient dans :



·       248 communes d’Ille et Vilaine,

·       40 du Morbihan,

·       21 des Côtes d’Armor

·       et 13 de la Loire Atlantique



Ces communes percevaient 7 millions d’euros répartis à proportion du nombre de salariés résidents. Les collectivités les moins bien dotées en ressources fiscales percevaient une seconde dotation de 12 millions (10 M€ pour l’Ille et Vilaine). La répartition s’effectuait selon des règles établies par chacun des Conseils Généraux respectifs.


L’histoire du Fonds Département de Péréquation de la Taxe Professionnelle (TP) est issue de règles législatives relatives à l’écrêtement des bases fiscales de la commune de Chartres de Bretagne jusqu’en 1992.

A l’issue de mise en place de la TP communautaire (1992), il a été instauré un prélèvement sur les recettes de TP de Rennes Métropole et correspondant exactement aux bases de PSA recensées dans la commune de Chartres. Depuis l’abrogation de la Taxe Professionnelle, ces ressources ont été converties en dotations de compensation d’Etat.


La mobilisation de tous les élus


Ce soir, votre participation montre l’attachement de tous à la vie économique de nos communes et à tout ce qui en découle. En effet, c’est bien le dynamisme économique d’un territoire qui nous permet d’engager des actions publiques à la hauteur de la demande sociale ; Qu’il s’agisse des politiques éducative, culturelle, sociale et bien évidement de nos politiques d’investissements. Ce sont autant de facteurs qui concourent à la qualité de vie, à l’attractivité de nos territoires et, de ce fait à la compétitivité de nos entreprises. Une compétitivité forte de notre soutien à l’aménagement économique, à la formation, l’innovation et l’aide au financement de l’économie à l’échelle communale, intercommunale et en appui avec les autres grandes collectivités territoriales que sont les départements et depuis quelques années les régions. En ce sens, l’histoire des automobiles Citroën à Chartres de Bretagne en Ille et Vilaine reste et restera un véritable cas d’école dans l’Ouest.


En Ille et Vilaine, l’attention des maires, notre attention à l’industrie ne date pas d’hier. Tout le montre quand je vois ou entend les messages qui sont les vôtres quant à mes choix avec la municipalité chartraine qui vous accueille pour donner un avenir à « l’usine Citroën », comme elle est encore bien souvent appelée.



Notre rencontre est sous le signe de notre soutien aux salariés de la filière automobile du département d’Ille et Vilaine et du principal donneur d’ordre qu’est l’usine PSA.

Le 23 avril 2012, j’organisais une séance extraordinaire du Conseil municipal pour alerter sur le risque d’une crise dans le secteur automobile et qui fatalement toucherait l’usine de notre commune. A l’époque, nombre de responsables politiques n’ont pas manqué de s’interroger sur une telle initiative. Depuis cette période, la succession d’évènements, tous aussi préoccupants les uns que les autres n’a cessé de s’enchaîner.


·       Juillet 2012 avec l’annonce de fermeture, de chômage partiel et de plans sociaux.

·       Dans ce même mois de juillet, je m’inquiétais de la capacité du groupe à trouver seul une solution de sortie. Les critiques, entre autres gouvernementales, ont alors fusées !

·       En tout état de cause, voyez où nous en étions encore courant octobre avec les garanties d’Etat accordées (c'est-à-dire celles des contribuables) à la banque PSA Finances pour que le Groupe continue à commercialiser ses fabrications.

·       Egalement, personne n’oublie les cessions d’actifs industriels et les dépréciations d’autres.

·       Personne n’oublie l’émission obligataire de ces semaines passées pour trouver un milliard d’argent frais et continuer le combat pour donner ainsi un avenir au Groupe ; un avenir qu’il nous appartient de défendre ensemble et ici-même.


Aujourd’hui, il ne sert à rien d’accabler les responsables, mais qu’au moins le discours ne soit plus dans le ton ou la forme du déni.

Il nous faut contribuer à la définition d’un projet. Mais faut-il que le Groupe PSA nous fasse des propositions sur le devenir et ses projets pour l’usine de Chartres. En effet, des questions restent en suspens :


·       sur les investissements annoncés depuis fort bien longtemps,

·       sur la mise en production d’un nouveau modèle,

·       ou encore sur le transfert dans le site de la Janais d’activités de conception et de fabrication d’outils, principalement pour l’emboutissage et le ferrage.


Mesdames, Messieurs les Maires, il est normal que nous parlions de diversification industrielle du site, sous réserve de compatibilité avec la poursuite des fabrications automobiles ; c’est bien là un point dur qu’il nous appartient de ne pas abandonner. De même, les projets pour la Janais ne doivent pas se faire au détriment de vos territoires, en incitant à « déménager » des entreprises pour saisir des « effets d’aubaine ». Tous acteurs du développement économique, nous savons que ce type de compétition entre les territoires ne mène nulle part. Et pour conclure, je me félicite que nos collectivités soient toutes attentives aux projets qui nous attendent, car il en va de l’avenir de tous : nos entreprises, les salariés, les familles et nos territoires.





([1]) A. Reverchon ; Le Monde Eco du 12 mars 2013