Congrès de l'industrie automobile - Les rencontres de l'Usine Nouvelle.
Allocution d'ouverture - Philippe Bonnin, Président délégué de l’ACSIA
le 13 novembre 2012
Mesdames, Messieurs
Permettez-moi d’adresser mes remerciements à l’équipe
organisatrice du 11ème Congrès de l’Industrie Automobile. Votre invitation
à intervenir en ouverture fait honneur à notre Association des Collectivités
Sites d’Industrie Automobile. Je salue l’attention qui est la vôtre pour
prendre en considération l’implication constante des territoires automobiles
dans la vie de nos entreprises françaises et dont vous êtes des représentants
très avisés pour en juger.
Les politiques
locales concourent à la performance de l’industrie
Dans mon propos introductif, je vais m’attacher à
mettre en perspective l’action des politiques locales qui concourent à la
performance de l’industrie dans chacun de nos territoires. Je ferai ensuite une
ouverture rapide sur le sujet de la compétitivité. Elle me permettra ensuite
d’aborder les propositions de l’ACSIA, reprises dans notre Livre Blanc et
telles que déclinées dans l’invitation pour le présent Congrès :
Comment dépasser l’obstacle des surcapacités de production,
- Encourager l’implication des pouvoirs publics dans la restructuration de la filière,
- Repositionner la stratégie pour créer de la valeur et répondre aux nouveaux besoins de mobilité.
Le partenariat
étroit entre les collectivités et les entreprises
Comme gestionnaire de collectivités depuis deux décennies, je sais combien la dynamique économique et sociale des communes, départements et régions est un facteur de développement dont les dirigeants d’entreprises savent saisir à bon escient les avantages qu’ils procurent.
D’emblée, je vais m’attacher à souligner l’acte
fondateur de l’ACSIA : « Notre
réseau n’a d’autre préoccupation que de valoriser la performance économique et
sociale d’écosystèmes territoriaux dans lesquels se conjuguent nos cultures de
savoir faire technologique et d’innovation ». L’ACSIA est un lieu
d’échange sur nos bonnes pratiques de développement économique dans chacun des
bassins d’emploi automobiles. Sur le terrain local, je sais par expérience que
vous êtes associés autant que nécessaire à l’effort public de formation, d’insertion,
d’équipement et d’aménagement. De même, nous nous concertons régulièrement avec
vous pour mieux contribuer à l’élaboration des solutions industrielles les plus
efficaces et opérationnelles possibles. Nous cofinançons des programmes de
recherche appliqués dont vous êtes systématiquement les porteurs ou les
initiateurs et nous participons chaque fois que possible à l’investissement ;
certes à proportion de nos capacités financières. Qu’il s’agisse des contrats
de plan, des pôles de compétitivité, des instituts techniques, des Centres
régionaux d’innovation et de transfert de technologies, nous engageons systématiquement
le dialogue avec tous les partenaires pour choisir les meilleures options de développement
économique. Vous êtes également associés au développement social et culturel de
nos territoires ; Cette autre dimension essentielle au dynamisme et à la
pérennité du corps socio-économique de nos communes et départements. Vous savez
naturellement en tirer les meilleurs atouts pour renforcer la compétitivité des
entreprises et plus globalement la performance du territoire qui se diffuse
très souvent en direction des autres activités présentes. Sauf peut-être à la
marge, personne ne discute de l’intérêt que représentent de tels biotopes en constante
évolution, grâce à la coopération entre élus et partenaires sociaux.
Les Régions 2,5 Md (formations professionnelles, soutien à l’investissement et la
modernisation de l’appareil productif, contrats de plan)
Les Départements 2 Md dans les infrastructures d’intérêt économique (principalement
routières)
1 Md dans l’action économique (insertion économique, bonification
du foncier et immobilier d’entreprise, aides à la création
d’emplois, cofinancements en appui des contrats de plan).
Le secteur communal 2,5 Md sur le foncier et l’aménagement économique. S’ajoutent les
cofinancements : formations, R&D, … avec l’Etat et les
autres collectivités.
Source: Observatoire des finances publiques
Ce point de vue quant à la participation des
institutions territoriales au dynamisme des activités économiques ne veut pas
dire que nous nous tenons à l’écart des autres sujets qui contribuent tout
autant à la compétitivité de nos industries comme de toutes nos entreprises.
Nous le savons tous : la compétitivité par les coûts devient le leitmotiv
de chaque instant ; c’est donc important d’y venir. Mais je tiens à
préciser que ce serait certainement bien trop réducteur de nous en tenir à
cette unique approche de la compétitivité par la baisse des coûts sociaux, pour
relancer l’économie industrielle. Je note au passage que ce débat intervient
après qu’on ait déjà révisé durant ces dernières années une part conséquente de
la fiscalité locale dont la Taxe Professionnelle qui grevait, convenons en, trop
lourdement l’industrie.
Alors que nous en sommes à plus d’une année de crise de
la zone euro, la récession se propage bien au delà de l’espace européen. Les pays
émergeants dont le soutien à la demande intérieure n’a jamais été une priorité
sont en butte à l’essoufflement de la demande de nos vieux pays en voie de
désindustrialisation récurrente. Une demande qui est très fragilisée par les
dettes publiques, comme privées.
La compétitivité
- Dans les années 2000, avons-nous perdu un avantage compétitif par rapport à l’Allemagne et l’Europe du Nord ? La réponse est clairement oui.
- Les coûts sociaux se sont-ils pour autant envolés en France ? Je répondrai non avec la nuance qu’impose le différentiel de rémunération croissant entre les secteurs de production et une part des services.
Sur ce point, un rééquilibrage de la contribution aux
charges sociales entre les différents secteurs d’activité aurait du sens. Je
laisse naturellement à ceux qui ont la responsabilité de gérer les comptes
sociaux d’en débattre.
Faut-il encore rappeler que le différentiel de
compétitivité par les coûts s’est surtout creusé avec l’arrivée des Pays de l’Europe
Centrale et Orientale (les « PECO ») dans l’espace industriel
européen. Rappelons à ce sujet un constat admis de tous : l’Allemagne s’y
était préparée. Elle a d’autant mieux opéré cette mutation qu’elle fût l’ordonnateur
le plus engagé pour soutenir l’émergence du fait industriel des nouveaux Etats
membres. Pour garder ses marges, elle a forcément revisité sa chaîne de
sous-traitance et de services ; et enfin, elle a dérégulé son marché du
travail dans des conditions difficilement acceptables chez nous. L’une des explications / justifications
tient entre autre à son vieillissement démographique qui avait induit une
pénurie de main d’œuvre.
Force est de constater que la France n’a pas su ou n’a
pu faire les mêmes choix. Je me garderai maintenant de développer les raisons
qui justifient le défaut d’analyse ; et voire plus.
Retournement de
situation pour l’Europe ?
Pour l’heure et comme vous, il m’importe de dépasser la
situation, sachant qu’il ne sert à rien de courir derrière un modèle allemand qui
s’il représentait une solution en son temps ne peut être forcément reproductible
aujourd’hui pour la France.
Il nous faut maintenant parler d’avenir. A ce sujet, nous
en sommes au stade d’un retournement déjà perceptible dans les Pays d’Europe
Centrale et Orientale. La récession qui touche la consommation de biens
durables et semi durables dans la vieille Europe atteint très clairement
l’économie de l’offre des émergents qui ne disposent d’aucun relais de croissance
sur leurs propres marchés intérieurs. Sans prétendre qu’elle soit critique, cette
situation est à fortiori similaire dans plusieurs pays d’extrême Orient. A ce
sujet, la Chine qui amorce un tournant politique, mais plus encore économique
fait débat quant à son avenir.
Dans ces conditions, un rééquilibrage est-il possible au
bénéfice de la production industrielle automobile en France ? C’est une
question que pose le livre blanc de l’ACSIA en essayant de la prolonger par une
réflexion sur les véhicules de demain, comme sur les chaînes de mobilité
d’avenir. Pour nous, l’heure n’est donc pas à baisser les bras ; bien au
contraire. A ce sujet, il s’avère peut-être utile d’analyser l’expérience de
constructeurs d’origine étrangère qui élaborent des solutions de production à
priori intéressantes en France. Vous me répondrez certainement qu’il y a chez
ces constructeurs des spécificités qui justifient leurs choix. Et bien, si tel
est le cas, il est utile et même indispensable que nous en parlions pour dégager
de nouvelles options industrielles. En attendant, faudrait-il donc continuer
les plans sociaux avec cette quasi probabilité devenue quelque peu effrayante
que nous mourions tous guéris ! J’en suis persuadé ; à l’échelon
local, nous sommes peut être infiniment plus nombreux à étudier d’autres
trajectoires possibles, pour appréhender les indispensables mutations
économiques qui vont à l’encontre de celles qui n’ont d’autre issue que les fins
de contrats, les plans sociaux, et pour finir : les fermetures
d’établissements.
L’industrie française peut-elle se passer de la
construction automobile ainsi que de tous ses effets d’entraînement dans
l’innovation pour nombre d’autres filières ? J’en doute. Il est donc
indispensable d’impulser d’autres trajectoires avec des solutions de partenariats
novateurs qui mobilisent tous les acteurs concernés (les stakeholders) depuis
les collectivités, les partenaires sociaux et l’Etat.
L’initiative de
l’ACSIA
Très au fait des inquiétudes qui montaient durant
l’année 2011, l’ACSIA a donc décidé de travailler sur un mémorandum susceptible
de faire avancer des pistes envisageables dans le but de « sortir »
de la crise automobile. A l’époque, nous ne pensions pas un instant que la crise
prendrait l’ampleur que nous lui connaissons aujourd’hui.
Reconquérir notre
marché domestique. Nous recentrer sur nos savoir faire.
Même si peu d’investissements ont été réalisés ces
dernières années dans les usines françaises à proportion d’autres sites
délocalisés, nous disposons encore d’outils industriels opérationnels, de
compétences et d’un marché intérieur pour lequel l’enjeu principal à nos yeux :
c’est de le reconquérir.
Le socle de compétences de nos constructeurs et
sous-traitants nationaux correspond au cœur du marché français. Les segments concernés
(B et C) correspondent également à des produits plutôt vertueux au regard du
choix d’un mode de vie plus économe en énergie carbonée et moins gaspilleur en
matières premières. Ce sont également des véhicules compatibles avec une offre
de sécurité et de confort à niveau d’électrotechnique, de qualité des
matériaux, comme des composants, facilement modulables. Par contre, ce sont bien
les fabrications qui tendent à quitter les usines françaises pour des raisons
de différentiels de prix de revient.
Le défi, c’est pour nous de faire revenir ces
fabrications. Il s’agit d’un sujet d’autant plus intéressant que toutes les
approches prospectives de moyen et long terme montrent que la recherche de la
valeur sur les petits véhicules fait partie des clés de l’avenir. Tout effort
de compétitivité prix ira bien évidemment dans ce sens. En phase avec les
orientations environnementales des conférences de Grenelle, nous préconisons de
rendre le marché français plus clairement hostile aux véhicules gros émetteurs
de carbone et encombrants. C’est une première réponse dissuasive que les
exigences du développement durable permettent de rendre politiquement correcte et,
si vous le permettez : « euro-compatible ».
Dans le livre blanc, nous rappelons également quelques pré-requis
pour assurer la promotion de cette approche. Nous les résumerons ainsi : « que la voie du développement durable
doit être au cœur de la stratégie globale de l’un et l’autre des deux
constructeurs français d’une part ; et que cette voie soit pleinement
cohérente avec le marché français, comme européen et redonne ainsi aux
constructeurs une base domestique solide qui les différencie de la concurrence
d’autre part ».
Cette option doit
être politiquement acceptable ou acceptée ; c'est-à-dire qu’elle doit être
susceptible de susciter des soutiens publics règlementaires, normatifs et si
nécessaire financiers. C’est ce que nous encourageons.
Forts d’une reconquête par les volumes du marché
domestique et d’autant plus enclin à s’intéresser aux segments B et C que nous
évoluons en pleine crise de pouvoir d’achat, entre autre des ménages, nous sommes
en droit d’attendre des plans de charges plus élevés et susceptibles d’offrir
enfin des niveaux de marges plus acceptables qu’actuellement. Nous sommes
évidemment conscients qu’il conviendra aussi de reprendre un rythme
d’investissements compatible avec les objectifs de productivité que nous
connaissons chez nos concurrents les plus compétitifs.
Ainsi, la France s’attaquerait de plein pied à la question de la
compétitivité par les coûts de fabrication et par là-même aux racines de la
désindustrialisation automobile de nos territoires.
Enfin, faut-il rappeler que rien n’est possible sans
reprendre une politique claire et offensive pour aller à la reconquête des
marchés.
Dans un contexte aussi morose qu’actuellement, l’Etat se
doit d’être stratège en prenant les mesures d’accompagnement qui
s’imposent ; à l’instar de ce que les Etats-Unis ont su faire depuis 2009.
Réviser les
stratégies et coopérations
Dans le Livre blanc, nous développons également des
concepts de soutien au marché sur la base d’un droit à la mobilité tel qu’il
existe un droit au logement et largement soutenu par l’action publique jusqu’à
cette date. Enfin, nous soulignons l’importance de concevoir ou reprendre des
coopérations et partenariats dont le sens n’est pas uniquement de faire de la concentration
industrielle au sein des mêmes filières (le modèle « vertical »), mais
de penser à la constitution de consortiums industriels (à la japonaise ou
modèle « horizontal ») qui seraient en mesure d’évoluer vers une offre
globale de mobilité, individuelle, collective ou combinée. Le savoir-faire en
construction et gestion d’infrastructures ne doit pas être délaissé dans une
telle approche. Sur ce point, les collectivités peuvent être des pourvoyeuses
de maîtrise technologique, encore trop ignorés à ce jour.
De l’intérêt de
travailler avec les territoires
Notre mobilisation territoriale pour le développement
économique constitue l’un des meilleurs résultats de la décentralisation des
années 80. En 2012, nos pratiques locales nous (l’ACSIA) imposaient de formuler
une voix originale et complémentaire de celle des acteurs économiques et des
pouvoirs publics nationaux.
Si je dois vous convaincre de quelque chose, c’est de
travailler avec les territoires.
Nous devons étudier ensemble comment faire cause
commune pour remettre sur la bonne voie notre économie industrielle et
automobile. Pour conclure, je souhaite dire que dans chaque bassin de vie,
l’histoire des trente années passées montre qu’ensemble nous avons déjà réussi
de grands paris industriels, il n’est donc pas interdit que nous réussissions à
engager les indispensables mutations d’avenir, pour peu que nous y mettions en
commun toute la volonté utile et nécessaire : les moyens humains,
scientifiques et technologiques; comme budgétaires.
Philippe Bonnin