vendredi 16 novembre 2012

Compétititivé industrielle et territoires - Les Rencontres de l'Usine Nouvelle




Congrès de l'industrie automobile - Les rencontres de l'Usine Nouvelle.

Allocution d'ouverture - Philippe Bonnin, Président délégué de l’ACSIA

le 13 novembre 2012


Mesdames, Messieurs
Permettez-moi d’adresser mes remerciements à l’équipe organisatrice du 11ème Congrès de l’Industrie Automobile. Votre invitation à intervenir en ouverture fait honneur à notre Association des Collectivités Sites d’Industrie Automobile. Je salue l’attention qui est la vôtre pour prendre en considération l’implication constante des territoires automobiles dans la vie de nos entreprises françaises et dont vous êtes des représentants très avisés pour en juger.
Les politiques locales concourent à la performance de l’industrie
Dans mon propos introductif, je vais m’attacher à mettre en perspective l’action des politiques locales qui concourent à la performance de l’industrie dans chacun de nos territoires. Je ferai ensuite une ouverture rapide sur le sujet de la compétitivité. Elle me permettra ensuite d’aborder les propositions de l’ACSIA, reprises dans notre Livre Blanc et telles que déclinées dans l’invitation pour le présent Congrès :
Comment dépasser l’obstacle des surcapacités de production,
  • Encourager l’implication des pouvoirs publics dans la restructuration de la filière,
  • Repositionner la stratégie pour créer de la valeur et répondre aux nouveaux besoins de mobilité.
Le partenariat étroit entre les collectivités et les entreprises

Comme gestionnaire de collectivités depuis deux décennies, je sais combien la dynamique économique et sociale des communes, départements et régions est un facteur de développement dont les dirigeants d’entreprises savent saisir à bon escient les avantages qu’ils procurent.
D’emblée, je vais m’attacher à souligner l’acte fondateur de l’ACSIA : « Notre réseau n’a d’autre préoccupation que de valoriser la performance économique et sociale d’écosystèmes territoriaux dans lesquels se conjuguent nos cultures de savoir faire technologique et d’innovation ». L’ACSIA est un lieu d’échange sur nos bonnes pratiques de développement économique dans chacun des bassins d’emploi automobiles. Sur le terrain local, je sais par expérience que vous êtes associés autant que nécessaire à l’effort public de formation, d’insertion, d’équipement et d’aménagement. De même, nous nous concertons régulièrement avec vous pour mieux contribuer à l’élaboration des solutions industrielles les plus efficaces et opérationnelles possibles. Nous cofinançons des programmes de recherche appliqués dont vous êtes systématiquement les porteurs ou les initiateurs et nous participons chaque fois que possible à l’investissement ; certes à proportion de nos capacités financières. Qu’il s’agisse des contrats de plan, des pôles de compétitivité, des instituts techniques, des Centres régionaux d’innovation et de transfert de technologies, nous engageons systématiquement le dialogue avec tous les partenaires pour choisir les meilleures options de développement économique. Vous êtes également associés au développement social et culturel de nos territoires ; Cette autre dimension essentielle au dynamisme et à la pérennité du corps socio-économique de nos communes et départements. Vous savez naturellement en tirer les meilleurs atouts pour renforcer la compétitivité des entreprises et plus globalement la performance du territoire qui se diffuse très souvent en direction des autres activités présentes. Sauf peut-être à la marge, personne ne discute de l’intérêt que représentent de tels biotopes en constante évolution, grâce à la coopération entre élus et partenaires sociaux.

 Les Territoires consacrent 8 milliards d’euros à l’économie en 2011

       Les Régions          2,5 Md (formations professionnelles, soutien à l’investissement et la
                                                 modernisation de l’appareil productif, contrats de plan) 

 Les Départements       2 Md dans les infrastructures d’intérêt économique (principalement
                                             routières)
                                    1 Md dans l’action économique (insertion économique, bonification
                                            du foncier et immobilier d’entreprise, aides à la création
                                            d’emplois, cofinancements en appui des contrats de plan). 

Le secteur communal   2,5 Md sur le foncier et l’aménagement économique. S’ajoutent les
                                                cofinancements : formations, R&D, … avec l’Etat et les
                                                autres collectivités. 

Source: Observatoire des finances publiques 

Ce point de vue quant à la participation des institutions territoriales au dynamisme des activités économiques ne veut pas dire que nous nous tenons à l’écart des autres sujets qui contribuent tout autant à la compétitivité de nos industries comme de toutes nos entreprises. Nous le savons tous : la compétitivité par les coûts devient le leitmotiv de chaque instant ; c’est donc important d’y venir. Mais je tiens à préciser que ce serait certainement bien trop réducteur de nous en tenir à cette unique approche de la compétitivité par la baisse des coûts sociaux, pour relancer l’économie industrielle. Je note au passage que ce débat intervient après qu’on ait déjà révisé durant ces dernières années une part conséquente de la fiscalité locale dont la Taxe Professionnelle qui grevait, convenons en, trop lourdement l’industrie. 

 

Alors que nous en sommes à plus d’une année de crise de la zone euro, la récession se propage bien au delà de l’espace européen. Les pays émergeants dont le soutien à la demande intérieure n’a jamais été une priorité sont en butte à l’essoufflement de la demande de nos vieux pays en voie de désindustrialisation récurrente. Une demande qui est très fragilisée par les dettes publiques, comme privées.

La compétitivité
  • Dans les années 2000, avons-nous perdu un avantage compétitif par rapport à l’Allemagne et l’Europe du Nord ? La réponse est clairement oui.
  • Les coûts sociaux se sont-ils pour autant envolés en France ? Je répondrai non avec la nuance qu’impose le différentiel de rémunération croissant entre les secteurs de production et une part des services.
Sur ce point, un rééquilibrage de la contribution aux charges sociales entre les différents secteurs d’activité aurait du sens. Je laisse naturellement à ceux qui ont la responsabilité de gérer les comptes sociaux d’en débattre.
Faut-il encore rappeler que le différentiel de compétitivité par les coûts s’est surtout creusé avec l’arrivée des Pays de l’Europe Centrale et Orientale (les « PECO ») dans l’espace industriel européen. Rappelons à ce sujet un constat admis de tous : l’Allemagne s’y était préparée. Elle a d’autant mieux opéré cette mutation qu’elle fût l’ordonnateur le plus engagé pour soutenir l’émergence du fait industriel des nouveaux Etats membres. Pour garder ses marges, elle a forcément revisité sa chaîne de sous-traitance et de services ; et enfin, elle a dérégulé son marché du travail dans des conditions difficilement acceptables chez nous. L’une des explications / justifications tient entre autre à son vieillissement démographique qui avait induit une pénurie de main d’œuvre.
Force est de constater que la France n’a pas su ou n’a pu faire les mêmes choix. Je me garderai maintenant de développer les raisons qui justifient le défaut d’analyse ; et voire plus.

Retournement de situation pour l’Europe ? 

Pour l’heure et comme vous, il m’importe de dépasser la situation, sachant qu’il ne sert à rien de courir derrière un modèle allemand qui s’il représentait une solution en son temps ne peut être forcément reproductible aujourd’hui pour la France.
Il nous faut maintenant parler d’avenir. A ce sujet, nous en sommes au stade d’un retournement déjà perceptible dans les Pays d’Europe Centrale et Orientale. La récession qui touche la consommation de biens durables et semi durables dans la vieille Europe atteint très clairement l’économie de l’offre des émergents qui ne disposent d’aucun relais de croissance sur leurs propres marchés intérieurs. Sans prétendre qu’elle soit critique, cette situation est à fortiori similaire dans plusieurs pays d’extrême Orient. A ce sujet, la Chine qui amorce un tournant politique, mais plus encore économique fait débat quant à son avenir.
Dans ces conditions, un rééquilibrage est-il possible au bénéfice de la production industrielle automobile en France ? C’est une question que pose le livre blanc de l’ACSIA en essayant de la prolonger par une réflexion sur les véhicules de demain, comme sur les chaînes de mobilité d’avenir. Pour nous, l’heure n’est donc pas à baisser les bras ; bien au contraire. A ce sujet, il s’avère peut-être utile d’analyser l’expérience de constructeurs d’origine étrangère qui élaborent des solutions de production à priori intéressantes en France. Vous me répondrez certainement qu’il y a chez ces constructeurs des spécificités qui justifient leurs choix. Et bien, si tel est le cas, il est utile et même indispensable que nous en parlions pour dégager de nouvelles options industrielles. En attendant, faudrait-il donc continuer les plans sociaux avec cette quasi probabilité devenue quelque peu effrayante que nous mourions tous guéris ! J’en suis persuadé ; à l’échelon local, nous sommes peut être infiniment plus nombreux à étudier d’autres trajectoires possibles, pour appréhender les indispensables mutations économiques qui vont à l’encontre de celles qui n’ont d’autre issue que les fins de contrats, les plans sociaux, et pour finir : les fermetures d’établissements.
L’industrie française peut-elle se passer de la construction automobile ainsi que de tous ses effets d’entraînement dans l’innovation pour nombre d’autres filières ? J’en doute. Il est donc indispensable d’impulser d’autres trajectoires avec des solutions de partenariats novateurs qui mobilisent tous les acteurs concernés (les stakeholders) depuis les collectivités, les partenaires sociaux et l’Etat.
 
L’initiative de l’ACSIA 

Très au fait des inquiétudes qui montaient durant l’année 2011, l’ACSIA a donc décidé de travailler sur un mémorandum susceptible de faire avancer des pistes envisageables dans le but de « sortir » de la crise automobile. A l’époque, nous ne pensions pas un instant que la crise prendrait l’ampleur que nous lui connaissons aujourd’hui.

Reconquérir notre marché domestique. Nous recentrer sur nos savoir faire.

Même si peu d’investissements ont été réalisés ces dernières années dans les usines françaises à proportion d’autres sites délocalisés, nous disposons encore d’outils industriels opérationnels, de compétences et d’un marché intérieur pour lequel l’enjeu principal à nos yeux : c’est de le reconquérir.
Le socle de compétences de nos constructeurs et sous-traitants nationaux correspond au cœur du marché français. Les segments concernés (B et C) correspondent également à des produits plutôt vertueux au regard du choix d’un mode de vie plus économe en énergie carbonée et moins gaspilleur en matières premières. Ce sont également des véhicules compatibles avec une offre de sécurité et de confort à niveau d’électrotechnique, de qualité des matériaux, comme des composants, facilement modulables. Par contre, ce sont bien les fabrications qui tendent à quitter les usines françaises pour des raisons de différentiels de prix de revient.
Le défi, c’est pour nous de faire revenir ces fabrications. Il s’agit d’un sujet d’autant plus intéressant que toutes les approches prospectives de moyen et long terme montrent que la recherche de la valeur sur les petits véhicules fait partie des clés de l’avenir. Tout effort de compétitivité prix ira bien évidemment dans ce sens. En phase avec les orientations environnementales des conférences de Grenelle, nous préconisons de rendre le marché français plus clairement hostile aux véhicules gros émetteurs de carbone et encombrants. C’est une première réponse dissuasive que les exigences du développement durable permettent de rendre politiquement correcte et, si vous le permettez : « euro-compatible ».
Dans le livre blanc, nous rappelons également quelques pré-requis pour assurer la promotion de cette approche. Nous les résumerons ainsi : « que la voie du développement durable doit être au cœur de la stratégie globale de l’un et l’autre des deux constructeurs français d’une part ; et que cette voie soit pleinement cohérente avec le marché français, comme européen et redonne ainsi aux constructeurs une base domestique solide qui les différencie de la concurrence d’autre part ».
Cette option doit être politiquement acceptable ou acceptée ; c'est-à-dire qu’elle doit être susceptible de susciter des soutiens publics règlementaires, normatifs et si nécessaire financiers. C’est ce que nous encourageons.
Forts d’une reconquête par les volumes du marché domestique et d’autant plus enclin à s’intéresser aux segments B et C que nous évoluons en pleine crise de pouvoir d’achat, entre autre des ménages, nous sommes en droit d’attendre des plans de charges plus élevés et susceptibles d’offrir enfin des niveaux de marges plus acceptables qu’actuellement. Nous sommes évidemment conscients qu’il conviendra aussi de reprendre un rythme d’investissements compatible avec les objectifs de productivité que nous connaissons chez nos concurrents les plus compétitifs.
Ainsi, la France s’attaquerait de plein pied à la question de la compétitivité par les coûts de fabrication et par là-même aux racines de la désindustrialisation automobile de nos territoires.
Enfin, faut-il rappeler que rien n’est possible sans reprendre une politique claire et offensive pour aller à la reconquête des marchés.
Dans un contexte aussi morose qu’actuellement, l’Etat se doit d’être stratège en prenant les mesures d’accompagnement qui s’imposent ; à l’instar de ce que les Etats-Unis ont su faire depuis 2009.

Réviser les stratégies et coopérations

Dans le Livre blanc, nous développons également des concepts de soutien au marché sur la base d’un droit à la mobilité tel qu’il existe un droit au logement et largement soutenu par l’action publique jusqu’à cette date. Enfin, nous soulignons l’importance de concevoir ou reprendre des coopérations et partenariats dont le sens n’est pas uniquement de faire de la concentration industrielle au sein des mêmes filières (le modèle « vertical »), mais de penser à la constitution de consortiums industriels (à la japonaise ou modèle « horizontal ») qui seraient en mesure d’évoluer vers une offre globale de mobilité, individuelle, collective ou combinée. Le savoir-faire en construction et gestion d’infrastructures ne doit pas être délaissé dans une telle approche. Sur ce point, les collectivités peuvent être des pourvoyeuses de maîtrise technologique, encore trop ignorés à ce jour.

De l’intérêt de travailler avec les territoires

Notre mobilisation territoriale pour le développement économique constitue l’un des meilleurs résultats de la décentralisation des années 80. En 2012, nos pratiques locales nous (l’ACSIA) imposaient de formuler une voix originale et complémentaire de celle des acteurs économiques et des pouvoirs publics nationaux.
Si je dois vous convaincre de quelque chose, c’est de travailler avec les territoires.
Nous devons étudier ensemble comment faire cause commune pour remettre sur la bonne voie notre économie industrielle et automobile. Pour conclure, je souhaite dire que dans chaque bassin de vie, l’histoire des trente années passées montre qu’ensemble nous avons déjà réussi de grands paris industriels, il n’est donc pas interdit que nous réussissions à engager les indispensables mutations d’avenir, pour peu que nous y mettions en commun toute la volonté utile et nécessaire : les moyens humains, scientifiques et technologiques; comme budgétaires.
                                                                               Philippe Bonnin