jeudi 12 décembre 2019

Le redressement des comptes publics de la France ; conséquences pour nos communes

Le débat d’orientations budgétaires, pour le budget 2020.Commune de Chartres de Bretagne
Depuis la crise financière et industrielle de 2008, la dette publique de la France est passée de 1 200 milliards d’euros à 2 400 milliards fin 2019
À l’issue de la crise financière de fin 2007, elle-même suivie de la grande dépression industrielle de 2008 - 2010, la zone euro a connu une augmentation sans précédent de la dette publique. La cause en est la reprise des créances bancaires irrécouvrables auprès d’acteurs économiques en cessation de paiement ; entre autres dans le secteur immobilier, mais également industriel.
Sur la même période, l’État a financé par le crédit un plan de relance des investissements en infrastructures publiques à hauteur de 34 milliards d’euros. Les effets ont été indéniablement bénéfiques pour le secteur du Bâtiment et des Travaux Publics (BTP
Il a également initié les financements des dispositifs récurrents pour le soutien à la filière automobile : les primes à la casse, ou encore les plans de départs anticipés des salariés, selon des critères dits « d’emploi compétitivité ». En 2007, à la veille de la crise hypothécaire d’outre atlantique, la dette de la France était de 1 200 milliards d’euros. Fin 2011, elle atteignait 1 700 milliards (+ 40%)
Pour résorber la dette publique : le choix de politiques économiques inopérantes
La première réponse à cette crise de la dette fut d’imposer l’austérité budgétaire en vue de résorber l’endettement des États ; ces mêmes États qui s’étaient engagés dans le sauvetage légitime de leurs économies à la fin des années 2000. Pour ce faire, en France, il a été décidé de récupérer des liquidités sur les revenus des ménages. La justification en est la suivante. Les divergences de trajectoires économiques dans la zone euro ne permettent plus de recourir à la dévaluation monétaire. Celle-ci s’avère génératrice d’austérité au travers de l’érosion du pouvoir d’achat et de l’épargne ; ceci dans un contexte inflationniste qui découle justement d’une dévaluation. Une telle pratique n’étant plus envisageable ou plutôt acceptée dans la zone euro, on a donc eu recours à ce qu’on appelle la dévaluation interne.
Le but de ce type de dévaluation bien plus insidieuse, consiste à réduire le pouvoir d’achat des revenus salariaux. Pour ce faire, on opère l’abaissement du coût du travail. Ainsi, il est supposé qu’on puisse retrouver l’indispensable compétitivité de nos biens fabriqués et services ; que ce soit en direction du marché intérieur très largement ouvert, de même qu’à l’international. Il est à noter que la dévaluation interne n’affecte pas l’épargne, puisqu’elle ne génère pas d’inflation.
Pour atteindre les objectifs de ce type de dévaluation, le Gouvernement a gelé les multiples indices de rémunérations des salaires (SMIC, indices de la fonction publique, …) et relevé l’impôt sur les revenus des ménages. Ce fut ce qu’on appela le « choc fiscal » de 2012 - 2017. La finalité consistait à récupérer quelques 20 à 50 milliards selon les sources consultées.
En parallèle, à compter du 1er janvier 2013, il a été instauré le Crédit d’Impôts pour la Compétitivité et l’Emploi (CICE). Sans distinction de nature des activités, le reversement par l’État du CICE était calculé au moyen d’un taux appliqué sur la masse salariale du million cinq cent mille entreprises concernées (4 % en 2013 puis 6 % à partir de 2014). Engagée à partir de 2012, cette mise en place du crédit d’impôts s’est révélée particulièrement paradoxale sur le plan politique. D’abord parce qu’elle s’avérait contradictoire à la feuille de route gouvernementale de l’époque. Ensuite parce que les évaluations ultérieures ont démontré son absence de résultats.
En partie financé par l’impôt supplémentaire sur les ménages, le CICE non fléché vers les filières ou secteurs confrontés à la concurrence internationale, essentiellement industriels, n’a pas stimulé l’investissement productif. Or, la finalité consistait logiquement à gagner en compétitivité technologique. En outre, le CICE n’a pas endigué les pertes considérables d’emplois sur la période 2010 - 2017, ni enrayé le déficit chronique du commerce extérieur.
Aucun arrêt des procédures de licenciements, de même que la fin des processus de départs avant l’âge de la retraite n’a été constaté. Rien n’est donc venu mettre un terme aux délocalisations massives et fermetures non moins massives d’établissements industriels et plus.
Au cœur d’un poumon économique majeur pour les régions de la Loire, de la Bretagne et Basse Normandie, plus de 10 000 emplois ont disparus ces 10 dernières années dans notre commune. Chacun admettra facilement ce soir, qu’une telle réalité aussi désolante ne peut laisser personne indifférent. Je ne parle évidemment pas de ces inconditionnels des politiques postindustrielles. Ils feignent encore d’ignorer la véritable et criante réalité sur le plan humain et social pour des milliers de familles concernées par la désindustrialisation. Certes, nombre de salariés ont pu atteindre les rivages de la préretraite, mais qu’en est-il réellement des générations qui suivent ? Il nous appartient de porter la plus grande attention à ces générations d’ouvriers frappés par le sous emploi ; qui vivent très souvent au-delà des limites de notre « métropole » locale.
Dans nos territoires, quand l’emploi devient flexible, aléatoire, voire incertain, la précarité et le manque de formation s’installe. In fine, nos communes assument alors cette lourde responsabilité que nulle autre collectivité ne peut prendre autant à bras le corps pour accompagner, faciliter l’insertion et l’intégration des familles, de nos jeunes et de tant d’hommes et de femmes confrontés à la difficulté du quotidien … jusqu’à en perdre leurs propres repères ; C’est là notre mission, bien souvent assimilée au dernier recours. Ces faits bien sûr ne nous interdisent nullement d’interpeller objectivement les responsables de ces déshérences économiques et sociales. Jour après jour, nos associations d’élus locaux font état de cette prégnante réalité dans les villes, les périphéries urbaines proches, comme éloignées et dans les campagnes.
Une autre politique économique était envisageable
L’autre alternative en matière de stratégie économique durant les périodes de crise consistait à engager dès 2010 le soutien de la Banque Centrale Européenne (BCE). L’option aurait consisté à racheter des titres de dettes obligataires privées et des bons du trésor. C’était une initiative propre à redonner le souffle attendu à l’économie. En son temps, les États-Unis n’avaient pas fait autre chose.
Nous savons qu’une telle politique non conventionnelle, dite d’assouplissement quantitatif, n’était pas autorisée à l’époque dans les règlements de la politique monétaire déléguée à la BCE. Est-ce là notre faute, alors que nous le réclamions ? Hélas, elle n’a vu le jour qu’au début de 2015 à l’issue d’un constat alarmant de la situation économique en zone euro ; c’est à dire bien trop tard pour rattraper les multiples dommages structurels ou coups portés à l’économie productive durant toutes ces années « austéritaires » de 2010 à 2015.
Les responsables politiques de cette période passée assumeront pour longtemps encore toutes les conséquences ou impacts relatifs à la destruction d’emplois et à la baisse de la rémunération du travail. Si nous y revenons avec insistance, c’est bien pour souligner les dégâts considérables portés à l’encontre de notre économie industrielle communale. Les conséquences sont connues ; je n’y reviens pas, elles sont irrémédiables, sans changer le logiciel de l’économie politique globale.
Venons-en aux faits pour nos finances publiques locales. Avec l’absence de résultats concernant les mesures que nous venons de décrire ; avec le manque de dynamique économique et son corollaire : la stagnation du Produit Intérieur Brut (PIB), il devenait impossible de résorber les déficits, faute de recettes fiscales. L’État n’a donc pas eu d’autre choix que d’emprunter. Ainsi, la dette publique de la France, évaluée à 1 800 milliards d’euros fin 2012 est passée à 2 200 fin 2017 (soit + 80 milliards par an). Deux années plus tard, c’est à dire aujourd’hui, elle atteint 2 400 milliards, soit 100 milliards d’endettement supplémentaire par an. 2 400 milliards, ce sont 37 000 € de dette par habitant en France.
Aujourd’hui, rien n’a donc changé sur le fond. Durant toutes ces années, nous n’avons eu de cesse de le rappeler, alors que nous assistions au démantèlement des chaînes de valeur les plus stratégiques de l’économie française ; que nous parlions des secteurs de la mécanique, présents dans les filières de la mobilité, comme de l’énergie. Pourtant, ces savoir-faire sont essentiels pour opérer l’incontournable transition énergétique. N’oublions pas également la crise de l’alimentation avec les nouvelles exigences de qualité. Elles sont légitimes. Par contre, elles bouleversent l’avenir de l’agriculture associée à l’agro-transformation.
Comme maintes fois exprimé, sans changement de modèle économique et par conséquent de stratégie politique plus claire des gouvernants, nous ne ferons que subir les dommages de la fin de « l’État stratège ». Sans de tels changements systémiques, il n’y aura pas de sortie de crise. Enfin, n’oublions jamais que toute nouvelle perspective crédible impose la refondation d’une société respectueuse de son environnement. Ici même, nous-nous y préparons.
La micro économie communale soumise aux errements de la politique économique nationale
À partir de 2014, dans les pires conditions de l’austérité ambiante, le Gouvernement de l’époque, manifestement peu enclin à infléchir sa doctrine néolibérale, avait décidé de mettre à contribution les collectivités pour résorber la dette d’État. Pour cela, il a décidé de réduire la Dotation Globale de Fonctionnement (DGF) destinée aux communes. En ce qui nous concerne, la DGF était de 700 000 € en 2013.
Par la suite, elle a été réduite au gré des années pour devenir nulle en 2018. C’est une très lourde contrainte qui pèse encore sur notre collectivité … 640 communes de France n’avaient plus de DGF fin 2018.

Au premier janvier 2015, la loi de Modernisation de l'Action Publique Territoriale et d'Affirmation des Métropoles (MAPTAM) a imposé le transfert de missions communales vers les intercommunalités ; ce fut le cas des voiries et réseaux. L’argument avancé était bien trop simpliste : à savoir qu’on devait se résoudre à admettre que « le regroupement de certaines politiques permettrait d’en baisser le coût ; c'est-à-dire des services ». Aujourd’hui, le constat se résume en un échec sans appel. La recentralisation-concentration a induit des surcoûts administratifs supplémentaires. La baisse des offres de prix attendue de la part des prestataires pour obtenir les économies souhaitées n’a jamais eu lieu. En effet, confrontée à la demande plus resserrée ou concentrée, l’offre s’est organisée en « groupements » ; terme certes agréable à entendre, mais dont la signification économique n’est autre qu’une offre oligopolistique. Ce n’était pas la bonne voie.

Par delà toutes ces considérations, très concrètement, nos recettes budgétaires communales stagnent depuis 10 ans : 10,4 millions d’euros en 2010 ; 10,0 millions d’euros en 2019.
La poursuite de notre politique d’encadrement rigoureuse des dépenses de fonctionnement s’impose et malheureusement garde encore aujourd’hui tout son sens. En effet, c’est grâce à celle-ci que nous avons réussi à compenser nos pertes de dotations et réductions de certains concours provenant des fonds d’État. L’explication en est aussi la progression, somme toute significative, des bases d’imposition communales avec la livraison des nouveaux bâtiments d’entreprises et d’habitat à la Conterie, comme dans le renouvellement urbain et l’écoquartier des portes de la Seiche. Ce sont des objectifs inscrits dans le Programme Local de l’Habitat métropolitain auquel nos communes souscrivent sans exception.
Toutes les charges de fonctionnement, ont été calculées au plus juste pour préserver l’essentiel de notre autofinancement net, c'est-à-dire : l’ensemble des recettes de fonctionnement auxquelles on retranche les dépenses de fonctionnement, ainsi que les remboursements d’annuités d’emprunts (550 K€ en 2019).
En 2008, l’autofinancement net était de 1,5 M€. Il est de 1,4 M€ en 2018. C’est une stabilité de notre capacité à investir, quand bien même elle soit légèrement en baisse. De tels chiffres démontrent clairement s’il est encore utile de le dire, qu’il est impératif de préserver l’objectif de l’autofinancement à ce niveau, grâce à nos efforts budgétaires.
Qui peut contester qu’il nous faille encore continuer à investir, mais sans pour autant augmenter la dette ? Nous avons pris cette décision collective de ne pas accroître la dette, même si elle reste très en deçà des références relatives aux communes de 5 à 10 000 habitants. C’est un choix de notre part. Il est raisonnable et avisé. En effet, nous ignorons tous de ce dont l’avenir est fait en matière de recettes fiscales communales. C’est une question d’autant plus d’actualité avec prochainement la seule taxe foncière comme levier fiscal à la suite bien évidement de l’abrogation présidentielle de la taxe d’habitation.

La Taxe d’Habitation à Chartres est de 11,07 %. La moyenne dans les communes de la Métropole est de 19,50 %. (8,43% supplémentaire)
La Taxe Foncière à Chartres de Bretagne est de 13,41 %  pour une moyenne de 21,64 % dans les communes de Rennes Métropole. (8,23% supplémentaire)
La dette par habitant à Chartres est de 275 € / Hbt. La moyenne dans la métropole est de 703 € / Hbt et dans les communes de 5 à 10 000 habitants en France, la dette est de 850 € / Hbt.

Pour conclure, je m’en tiendrai au contenu d’un article publié par le magazine « Capital », le 4 décembre 2019 :
« La croissance mondiale est-elle vouée à accuser un déclin inexorable, avec un choc social à la clé ? À court terme, le scénario poussif de 2019 risque fort de se poursuivre en 2020. L'organisation de coopération et de développement économique prévoit une croissance mondiale qui plafonnerait l’année prochaine à 2,9 %, comme en 2019, son plus bas niveau depuis la récession mondiale de 2009.
L'économie mondialisée ne se trouve pas seulement à la fin d'un cycle, mais bien à la fin d'une ère, celle de l'envolée des échanges marchands et de la montée en puissance industrielle des pays émergents. Après des années de largesses des grandes banques centrales, la finance mondiale est chamboulée. Les Banques Centrales peinent à sevrer les marchés, dont certains, comme Wall Street, volent de record en record (spéculatifs). Le phénomène à première vue absurde des taux d’intérêts négatifs se généralise dans certains pays, comprimant la rentabilité des banques et faisant enfler la dette privée.
Pour autant, l’investisseur Steve Eisman, célèbre parce qu’il avait prédit l'effondrement du système financier américain fin 2007 reste catégorique : "Nous n'aurons pas de crise systémique" comme celle déclenchée par la faillite de la banque Lehman Brothers en 2008 ».
À suivre donc.
Philippe Bonnin
Le 9 décembre 2019

Journal "Le Monde" : La dette française, c'est notre affaire.