Depuis la crise financière et industrielle de 2008, la
dette publique de la France est passée de 1 200 milliards d’euros à
2 400 milliards fin 2019
À
l’issue de la crise financière de fin 2007, elle-même suivie de la grande
dépression industrielle de 2008 - 2010, la zone euro a connu une
augmentation sans précédent de la dette publique. La cause en est la reprise
des créances bancaires irrécouvrables auprès d’acteurs économiques en cessation
de paiement ; entre autres dans le secteur immobilier, mais également
industriel.
Sur
la même période, l’État a financé par le crédit un plan de relance des
investissements en infrastructures publiques à hauteur de 34 milliards
d’euros. Les effets ont été indéniablement bénéfiques pour le secteur du
Bâtiment et des Travaux Publics (BTP
Il a
également initié les financements des dispositifs récurrents pour le soutien à
la filière automobile : les primes à la casse, ou encore les plans de
départs anticipés des salariés, selon des critères dits « d’emploi
compétitivité ». En 2007, à la veille de la crise hypothécaire d’outre
atlantique, la dette de la France était de 1 200 milliards d’euros. Fin
2011, elle atteignait 1 700 milliards (+ 40%)
Pour résorber la dette publique : le choix de
politiques économiques inopérantes
La
première réponse à cette crise de la dette fut d’imposer l’austérité budgétaire
en vue de résorber l’endettement des États ; ces mêmes États qui s’étaient
engagés dans le sauvetage légitime de leurs économies à la fin des années 2000.
Pour ce faire, en France, il a été décidé de récupérer des liquidités sur les revenus
des ménages. La justification en est la suivante. Les divergences de
trajectoires économiques dans la zone euro ne permettent plus de recourir à la
dévaluation monétaire. Celle-ci s’avère génératrice d’austérité au travers de
l’érosion du pouvoir d’achat et de l’épargne ; ceci dans un contexte
inflationniste qui découle justement d’une dévaluation. Une telle pratique
n’étant plus envisageable ou plutôt acceptée dans la zone euro, on a donc eu
recours à ce qu’on appelle la dévaluation interne.
Le
but de ce type de dévaluation bien plus insidieuse, consiste à réduire le
pouvoir d’achat des revenus salariaux. Pour ce faire, on opère l’abaissement du
coût du travail. Ainsi, il est supposé qu’on puisse retrouver l’indispensable
compétitivité de nos biens fabriqués et services ; que ce soit en
direction du marché intérieur très largement ouvert, de même qu’à
l’international. Il est à noter que la dévaluation interne n’affecte pas
l’épargne, puisqu’elle ne génère pas d’inflation.
Pour atteindre
les objectifs de ce type de dévaluation, le Gouvernement a gelé les multiples indices
de rémunérations des salaires (SMIC, indices de la fonction publique, …)
et relevé l’impôt sur les revenus des ménages. Ce fut ce qu’on appela le
« choc fiscal » de 2012 - 2017. La finalité consistait à
récupérer quelques 20 à 50 milliards selon les sources consultées.
En
parallèle, à compter du 1er janvier 2013, il a été instauré le
Crédit d’Impôts pour la Compétitivité et l’Emploi (CICE). Sans distinction de
nature des activités, le reversement par l’État du CICE était calculé au moyen
d’un taux appliqué sur la masse salariale du million cinq cent mille entreprises
concernées (4 % en 2013 puis 6 % à partir de 2014). Engagée à partir
de 2012, cette mise en place du crédit d’impôts s’est révélée particulièrement
paradoxale sur le plan politique. D’abord parce qu’elle s’avérait
contradictoire à la feuille de route gouvernementale de l’époque. Ensuite parce
que les évaluations ultérieures ont démontré son absence de résultats.
En
partie financé par l’impôt supplémentaire sur les ménages, le CICE non fléché
vers les filières ou secteurs confrontés à la concurrence internationale,
essentiellement industriels, n’a pas stimulé l’investissement productif. Or, la
finalité consistait logiquement à gagner en compétitivité technologique. En
outre, le CICE n’a pas endigué les pertes considérables d’emplois sur la
période 2010 - 2017, ni enrayé le déficit chronique du commerce extérieur.
Aucun
arrêt des procédures de licenciements, de même que la fin des processus de
départs avant l’âge de la retraite n’a été constaté. Rien n’est donc venu
mettre un terme aux délocalisations massives et fermetures non moins massives
d’établissements industriels et plus.
Au
cœur d’un poumon économique majeur pour les régions de la Loire, de la Bretagne
et Basse Normandie, plus de 10 000 emplois ont disparus ces 10 dernières
années dans notre commune. Chacun admettra facilement ce soir, qu’une telle
réalité aussi désolante ne peut laisser personne indifférent. Je ne parle
évidemment pas de ces inconditionnels des politiques postindustrielles. Ils feignent
encore d’ignorer la véritable et criante réalité sur le plan humain et social pour
des milliers de familles concernées par la désindustrialisation. Certes, nombre
de salariés ont pu atteindre les rivages de la préretraite, mais qu’en est-il
réellement des générations qui suivent ? Il nous appartient de porter la
plus grande attention à ces générations d’ouvriers frappés par le sous emploi ;
qui vivent très souvent au-delà des limites de notre « métropole »
locale.
Dans nos
territoires, quand l’emploi devient flexible, aléatoire, voire incertain, la
précarité et le manque de formation s’installe. In fine, nos communes assument
alors cette lourde responsabilité que nulle autre collectivité ne peut prendre
autant à bras le corps pour accompagner, faciliter l’insertion et l’intégration
des familles, de nos jeunes et de tant d’hommes et de femmes confrontés à la difficulté
du quotidien … jusqu’à en perdre leurs propres repères ; C’est là
notre mission, bien souvent assimilée au dernier recours. Ces faits bien sûr ne
nous interdisent nullement d’interpeller objectivement les responsables de ces
déshérences économiques et sociales. Jour après jour, nos associations d’élus
locaux font état de cette prégnante réalité dans les villes, les périphéries
urbaines proches, comme éloignées et dans les campagnes.
L’autre
alternative en matière de stratégie économique durant les périodes de crise
consistait à engager dès 2010 le soutien de la Banque Centrale Européenne
(BCE). L’option aurait consisté à racheter des titres de dettes obligataires
privées et des bons du trésor. C’était une initiative propre à redonner le
souffle attendu à l’économie. En son temps, les États-Unis n’avaient pas fait
autre chose.
Nous
savons qu’une telle politique non conventionnelle, dite d’assouplissement
quantitatif, n’était pas autorisée à l’époque dans les règlements de la
politique monétaire déléguée à la BCE. Est-ce là notre faute, alors que nous le
réclamions ? Hélas, elle n’a vu le jour qu’au début de 2015 à l’issue d’un
constat alarmant de la situation économique en zone euro ; c’est à dire
bien trop tard pour rattraper les multiples dommages structurels ou coups
portés à l’économie productive durant toutes ces années
« austéritaires » de 2010 à 2015.
Les
responsables politiques de cette période passée assumeront pour longtemps encore
toutes les conséquences ou impacts relatifs à la destruction d’emplois et à la
baisse de la rémunération du travail. Si nous y revenons avec insistance, c’est
bien pour souligner les dégâts considérables portés à l’encontre de notre économie
industrielle communale. Les conséquences sont connues ; je n’y reviens
pas, elles sont irrémédiables, sans changer le logiciel de l’économie politique
globale.
Venons-en
aux faits pour nos finances publiques locales. Avec l’absence de résultats concernant
les mesures que nous venons de décrire ; avec le manque de dynamique économique
et son corollaire : la stagnation du Produit Intérieur Brut (PIB), il
devenait impossible de résorber les déficits, faute de recettes fiscales. L’État
n’a donc pas eu d’autre choix que d’emprunter. Ainsi, la dette publique de la France,
évaluée à 1 800 milliards d’euros fin 2012 est passée à 2 200 fin
2017 (soit + 80 milliards par an). Deux années plus tard, c’est à dire
aujourd’hui, elle atteint 2 400 milliards, soit 100 milliards
d’endettement supplémentaire par an. 2 400 milliards, ce sont
37 000 € de dette par habitant en France.
Aujourd’hui,
rien n’a donc changé sur le fond. Durant toutes ces années, nous n’avons eu de
cesse de le rappeler, alors que nous assistions au démantèlement des chaînes de
valeur les plus stratégiques de l’économie française ; que nous parlions
des secteurs de la mécanique, présents dans les filières de la mobilité, comme
de l’énergie. Pourtant, ces savoir-faire sont essentiels pour opérer l’incontournable
transition énergétique. N’oublions pas également la crise de l’alimentation avec
les nouvelles exigences de qualité. Elles sont légitimes. Par contre, elles bouleversent
l’avenir de l’agriculture associée à l’agro-transformation.
Comme
maintes fois exprimé, sans changement de modèle économique et par conséquent de
stratégie politique plus claire des gouvernants, nous ne ferons que subir les
dommages de la fin de « l’État stratège ». Sans de tels changements systémiques,
il n’y aura pas de sortie de crise. Enfin, n’oublions jamais que toute nouvelle
perspective crédible impose la refondation d’une société respectueuse de son
environnement. Ici même, nous-nous y préparons.
La micro économie communale soumise aux errements de
la politique économique nationale
À
partir de 2014, dans les pires conditions de l’austérité ambiante, le Gouvernement
de l’époque, manifestement peu enclin à infléchir sa doctrine néolibérale, avait
décidé de mettre à contribution les collectivités pour résorber la dette d’État.
Pour cela, il a décidé de réduire la Dotation Globale de Fonctionnement (DGF) destinée
aux communes. En ce qui nous concerne, la DGF était de 700 000 € en
2013.
Par
la suite, elle a été réduite au gré des années pour devenir nulle en 2018.
C’est une très lourde contrainte qui pèse encore sur notre collectivité …
640 communes de France n’avaient plus de DGF fin 2018.
Au
premier janvier 2015, la loi de Modernisation de
l'Action Publique Territoriale et d'Affirmation des Métropoles (MAPTAM) a
imposé le transfert de missions communales vers les intercommunalités ; ce
fut le cas des voiries et réseaux. L’argument avancé
était bien trop simpliste : à savoir qu’on devait se résoudre à admettre
que « le regroupement de certaines politiques
permettrait d’en baisser le coût ; c'est-à-dire des services ». Aujourd’hui,
le constat se résume en un échec sans appel. La recentralisation-concentration a
induit des surcoûts administratifs supplémentaires. La baisse des offres de
prix attendue de la part des prestataires pour obtenir les économies souhaitées
n’a jamais eu lieu. En effet, confrontée à la demande plus resserrée ou concentrée, l’offre s’est organisée en « groupements » ; terme certes
agréable à entendre, mais dont la signification économique n’est autre qu’une
offre oligopolistique. Ce n’était pas la bonne voie.
Par delà toutes ces considérations, très concrètement, nos
recettes budgétaires communales stagnent depuis 10 ans : 10,4 millions d’euros
en 2010 ; 10,0 millions d’euros en 2019.
La poursuite de notre politique d’encadrement rigoureuse des
dépenses de fonctionnement s’impose et malheureusement garde encore aujourd’hui
tout son sens. En effet, c’est grâce à celle-ci que nous avons réussi à
compenser nos pertes de dotations et réductions de certains concours provenant
des fonds d’État. L’explication en est aussi la progression, somme toute significative,
des bases d’imposition communales avec la livraison des nouveaux bâtiments d’entreprises
et d’habitat à la Conterie, comme dans le renouvellement urbain et
l’écoquartier des portes de la Seiche. Ce sont des objectifs inscrits dans le
Programme Local de l’Habitat métropolitain auquel nos communes souscrivent sans
exception.
Toutes les charges de fonctionnement, ont été calculées au plus
juste pour préserver l’essentiel de notre autofinancement net, c'est-à-dire :
l’ensemble des recettes de fonctionnement auxquelles on retranche les dépenses
de fonctionnement, ainsi que les remboursements d’annuités d’emprunts
(550 K€ en 2019).
En 2008, l’autofinancement net était de 1,5 M€. Il est de
1,4 M€ en 2018. C’est une stabilité de notre capacité à investir, quand
bien même elle soit légèrement en baisse. De tels chiffres démontrent
clairement s’il est encore utile de le dire, qu’il est impératif de préserver l’objectif
de l’autofinancement à ce niveau, grâce à nos efforts budgétaires.
Qui peut contester qu’il nous faille encore continuer à investir,
mais sans pour autant augmenter la dette ? Nous avons pris cette décision
collective de ne pas accroître la dette, même si elle reste très en deçà des
références relatives aux communes de 5 à 10 000 habitants. C’est un choix
de notre part. Il est raisonnable et avisé. En effet, nous ignorons tous de ce
dont l’avenir est fait en matière de recettes fiscales communales. C’est une
question d’autant plus d’actualité avec prochainement la seule taxe foncière
comme levier fiscal à la suite bien évidement de l’abrogation présidentielle de
la taxe d’habitation.
La Taxe d’Habitation à Chartres est de 11,07 %. La moyenne
dans les communes de la Métropole est de 19,50 %. (8,43% supplémentaire)
La Taxe Foncière à Chartres de Bretagne est de 13,41 %
pour une moyenne de 21,64 % dans les communes de Rennes Métropole. (8,23%
supplémentaire)
La dette par habitant à Chartres est de 275 € / Hbt.
La moyenne dans la métropole est de 703 € / Hbt et dans les
communes de 5 à 10 000 habitants en France, la dette est de 850 € / Hbt.
Pour
conclure, je m’en tiendrai au contenu d’un article publié par le magazine « Capital »,
le 4 décembre 2019 :
« La croissance mondiale est-elle
vouée à accuser un déclin inexorable, avec un choc social à la clé ? À
court terme, le scénario poussif de 2019 risque fort de se poursuivre en 2020.
L'organisation de coopération et de développement économique prévoit une
croissance mondiale qui plafonnerait l’année prochaine à 2,9 %, comme en
2019, son plus bas niveau depuis la récession mondiale de 2009.
L'économie mondialisée ne se trouve
pas seulement à la fin d'un cycle, mais bien à la fin d'une ère, celle de
l'envolée des échanges marchands et de la montée en puissance industrielle des
pays émergents. Après des années de largesses des grandes banques centrales, la
finance mondiale est chamboulée. Les Banques Centrales peinent à sevrer les
marchés, dont certains, comme Wall Street, volent de record en record (spéculatifs). Le phénomène à première vue absurde des taux d’intérêts négatifs se
généralise dans certains pays, comprimant la rentabilité des banques et faisant
enfler la dette privée.
Pour autant, l’investisseur Steve
Eisman, célèbre parce qu’il avait prédit l'effondrement du système financier
américain fin 2007 reste catégorique : "Nous n'aurons pas de crise
systémique" comme celle déclenchée par la faillite de la banque Lehman
Brothers en 2008 ».
À
suivre donc.
Philippe Bonnin
Le 9 décembre 2019
Journal "Le Monde" : La dette française, c'est notre affaire.