jeudi 19 juillet 2018

Communes, métropolisation, démocratie locale : changer de modèle.

Lors des élections municipales de mars 2014, tous les élus communaux ont été pris de court, suite à l’application de la loi de « métropolisation », le 27 janvier 2014. L’objectif du Gouvernement de l’époque était sans ambiguïté : au non d’une « rationalité financière » des plus datées « les métropoles doivent se substituer aux communes pour la gestion des infrastructures de proximité, telles que la voirie et les réseaux ; mais également l’économie, l’aménagement, l’habitat et l’environnement ».
Nul ne l’ignore, toutes les décisions prises dans ces lieux de pouvoirs concentrés entre les mains de quelques uns ([1]) permettent aux « décideurs » de prendre de la distance avec les populations et leurs espaces de vie, comme de débats … C’est ainsi qu’on achève la démocratie.

Issues de la révolution française, les communes demeurent l’un des échelons privilégiés pour garantir le nécessaire dialogue entre tous. C’est un acquis majeur qui s’inscrit dans l’histoire de la démocratie républicaine ; en opposition à l’organisation monarchique et descendante antérieure.

Trois ans plus tard, un constat s’impose : les institutions métropolitaines sous-tendent une approche de la gouvernance qui tourne le dos à notre conception de la modernité, tant en matière sociale, politique qu’économique. Si parler de « métropole » renvoie d’abord à la souveraineté sans partage des cités grecques sur leurs colonies d’outremer, ce vocable reste tout autant lié à l’histoire coloniale des 19ème et 20ème siècles. En pareille situation, ce serait une lourde erreur de mésestimer l’étymologie de mots qu’on utilise à souhait avec ce qu’ils peuvent induire de significations ambivalentes.
Le « processus vertueux » de la métropolisation, sensé conforter les « théories du ruissellement » ([2]) dont se prévalent encore les élites politiques, s’apparente le plus souvent à une forme de régression démocratique qui différencie les pôles de prospérité des espaces périphériques, pourvoyeurs de moyens et de main d’œuvre à bas coût ; les « sous-zones ». Il est contestable d’accepter l’expansion d’un tel modèle d’organisation spatial, comme de gouvernance en l’absence d’évaluation préalable de la situation créée à l’échelle des territoires concernés, comme du pays.

Nul ne peut l’ignorer, pour le « citoyen ordinaire », la métropole c’est d’abord une autorité de subordination non choisie, autrement plus administrative, technocratique, voire illisible. Ce modèle est parfaitement contraire à l’esprit de la coopération.
À l’heure actuelle, nous sommes constamment confrontés à la rigidité des nouveaux modes d’exercice du pouvoir entre cooptés. Ils sont en total décalage avec la « pratique collaborative et citoyenne » développée dans nos communes ; certes toutes différentes de par la géographie, l’histoire, leur développement et leur organisation humaine.
Pour autant, ce n’est nullement un obstacle à la coopération intercommunale.
L’esprit de la coopération choisie est une richesse, forte de complémentarités lorsqu’on partage les mêmes objectifs ou valeurs : la cohésion sociale et le « vivre ensemble ».
Par essence, la « recentralisation-concentration » en cours s’oppose à l’expression de la créativité dont chacun doit légitimement disposer. Il s’agit là d’un authentique débat de modernité (« nouveau monde » !), telle que nous la concevons. À cet égard, il est regrettable que nombre de « décideurs » ne le comprennent pas, ou plutôt ne le comprendront jamais … à moins que ce soit l’adoption d’une posture de principe pour ignorer le quotidien de la vie locale ; celui des plus modestes, des gens « d’en bas » …
Ce mode de gouvernance verticale est d’autant plus paradoxal que dans les faits, les nouvelles technologies dont on promeut nombre d’avantages significatifs offriront certainement plus de solutions ingénieuses pour mieux gérer l’échelon de la proximité.

Il importe que s’organisent enfin d’autres conceptions du service public, plus collaboratives et réactives ; qui intègrent l’innovation pour le bien du plus grand nombre. En outre, je note que la plupart des projets vertueux destinés à la sauvegarde de la planète empruntent déjà cette voie lorsqu’il s’agit de développer des solutions locales ; certes parfois complexes mais tellement plus riches de leur diversité. D’ailleurs, n’est-ce pas le plus souvent la raison d’être de ces « jeunes pousses » investies dans les services et qu’on appelle de nos jours « Start Up » ?
Concernant la métropolisation actuelle : au-delà de sa contre performance sociale ([3]) et financière, la construction d’une autre approche de l’intercommunalité doit enfin s’affirmer ; plus libre et plus coopérative. Tel que d’autres analyses extérieures à la présente contribution le développement également, il semble bien que nous sommes au bord d’une rupture à haut risques entre « le citoyen » et le cercle de ces élites recluses dans leurs cercles de pouvoirs.

Il convient d’envisager l’avenir autrement, avec une conception alternative du développement économique, écologique et social durable.
L’avenir est à la déconcentration des pouvoirs au bénéfice des proximités, à l’agilité opérationnelle des moyens et des services pour le meilleur soutien à l’intégration de tous. Ceci ne veut certainement pas dire qu’il doit y avoir une absence de coopération, comme de mutualisation des moyens chaque fois que nécessaire. En effet, il nous faut très naturellement et intelligemment configurer les services à la bonne échelle, hors des hégémonies métropolitaines, trop distantes ; impersonnelles.
Lors de ces deux dernières décennies, nous n’avons pas manqué de prendre des initiatives adaptées au contexte d’une coopération intercommunale choisie. Ce n’est pas seulement une question d’économies de moyens, c’est un enjeu de qualité des services à la population.
La coopération fondée sur des relations de confiance, nourrit bien d’autres conceptions de la démocratie participative. C’est un état d’esprit très différent de ces modèles centralisateurs, intégrateurs et qui usent de la communication jusqu’à la manipulation ; toujours avec force de moyens budgétaires disproportionnés.
De combien de temps nous reste t-il pour changer de modèle ?  

Philippe Bonnin,
Maire de Chartres de Bretagne
Conseiller Départemental


([1]) - « L’entre-soi » des élites.
([2]) - Les zones de prospérité (métropoles) doivent être confortées, parce qu’elles contribuent par effet d’entrainement au développement des territoires ou d’économies périphériques.
([3]) - Au sens de l’organisation sociale.