Intervention de Philippe
Bonnin, représentant de l’APVF - Association des Petites Villes de France. Maire
de Chartres de Bretagne, Conseiller Départemental.
L’Association des Petites
Villes de France (APVF) a pris acte de la mesure de dégrèvement progressif de
la Taxe d’Habitation pour les 80 % des ménages les plus modestes d’ici à
2020. Il en est de même en ce qui concerne la suppression annoncée de cet impôt
local après 2020.
Les avis et déclarations
relatifs de cette réforme sont aussi diverses que contradictoires. L’APVF qui
rassemble des collectivités de sensibilités politiques très ouvertes mais qui
savent se retrouver sur l’essentiel, se donne pour objectif premier de préserver
nos communes et groupements des atteintes à l’autonomie financière et bien sûr
fiscale. Parler d’autonomie, c’est là le sens de l’article 72-2 introduit dans
la réforme constitutionnelle du 28 mars 2003.
Pourtant, force est de
constater que ce n’est plus l’approche du législateur, comme du Conseil
constitutionnel. J’ajouterai que si l’on s’en tient aux affirmations du
Président la République, il n’y aurait pas d’inquiétude en la matière, puisque lors
du Congrès des maires de France fin 2017, il s’est engagé à redonner aux communes leur « autonomie
fiscale pleine et entière ».
Avant de développer notre
point de vue et nos propositions, je tiens à rappeler que l’APVF a toujours
considéré la Taxe d’Habitation comme un impôt inéquitable socialement,
puisqu’il ne prend pas en compte la capacité contributive du résident, et
injuste territorialement ; même si nous pouvons considérer qu’on n’a pas un
retour identique de services aux administrés selon les territoires concernés.
Enfin, chacun sait bien que les modes de calcul des bases, et par conséquent de
la formation du produit à taux identique est très différente selon les communes.
Pour remédier à de telles
lacunes, l’APVF plaide pour une « méthode douce » ; à savoir l’intégration
dans l’assiette de la taxe d’habitation de tous les foyers fiscaux une part de
revenu et la poursuite de la révision des valeurs locatives cadastrales pour
tous les locaux à usage d’habitation.
Au-delà de toute considération,
le Gouvernement a opté pour la méthode « dure », en décidant de la
suppression de la taxe d’habitation … dont acte ! En l’état des
discussions, la poursuite ou non de la révision des valeurs locatives reste entière.
De même, si le Ministre des
comptes publics, comme la mission Bur-Richard plaident pour la réforme des
bases pour les taxes foncières, aucune véritable annonce officielle n’a encore été
faite à ce sujet.
L’APVF rappelle qu’elle n’a jamais soutenu la suppression
de la Taxe d’Habitation.
L’APVF demande la poursuite de la révision des bases des
taxes foncières.
Quel est notre point
de vue sur la mesure de dégrèvement de la Taxe d’Habitation accordé à 80 % des
ménages ?
Pour l’APVF, de toute
évidence la mesure de dégrèvement doit être neutre dans les budgets locaux.
Nous demandons par conséquent une compensation intégrale et pérenne dans le
temps. C’est bien là tout le sens d’un dégrèvement décidé par autrui, en
l’occurrence l’État. Je note que le Président de la République avait assuré aux
maires, lors de la première Conférence Nationale des Territoires un remboursement
à l’euro près du manque à gagner. La préservation de l’autonomie fiscale, ou
plus exactement de la liberté de taux était réaffirmée.
Il avait également assuré
que l’Etat prendrait à sa charge la part non payée par le contribuable local.
Ainsi, notre cause était entendue.
Malheureusement, l’article
5 de la loi de finances pour 2018 prend le contrepied des promesses. En effet,
cet article 5 dispose que l’Etat n’assume le dégrèvement qu’à hauteur des taux
appliqués pour les impositions dues au titre de 2017. Les hausses de taux seront
par conséquent supportées par le contribuable local et non l’État.
Si l’on s’en tient à la
définition retenue du dégrèvement législatif et aux annonces du Président de la
République, de nombreux élus pensaient que l’État prendrait à sa charge les
hausses de taux. Ils ont été évidemment surpris ... Euphémisme !
La définition
du dégrèvement législatif - in Rapport public thématique de la Cour des
comptes, Gestion de la fiscalité locale par la DGFiP de février 2017 :
Dans
le cas d’un dégrèvement législatif, « les collectivités territoriales
se voient garantir par l’État le produit de l’impôt tel qu’il figure au rôle.
Si ce produit n’est pas perçu intégralement sur le contribuable du fait d’un
dégrèvement d’origine législative ou de gestion, l’État prend à sa charge le
versement aux collectivités de la différence entre la somme inscrite au rôle et
le montant effectivement réglé par le contribuable ».
A cet effet, bien que
plus de 87 % des élus des petites villes n’aient pas prévu d’augmenter les
taux, Taxe d’Habitation compris en 2018, notez que l’APVF rappelle le besoin de
lisibilité et de prévisibilité pour toutes nos collectivités territoriales.
Il en est de même pour les
dotations, et contrairement à la promesse du Président de garantir une
stabilisation individuelle des concours financiers de l’Etat pour chaque
commune, pas moins de 16 000 d’entre elles ont subi la baisse de leur DGF
en 2018.
Pour chaque décision financière et fiscale, L’APVF
demande de la lisibilité et de la prévisibilité. L’information transmise aux
collectivités par les services centraux et déconcentrés de l’Etat, ainsi que
les préfectures doit être précise et régulière ;
La suppression
intégrale de la Taxe d’Habitation à partir de 2020.
Cette mesure de
dégrèvement progressif pour 80 % des ménages coûtera à l’Etat 10,1 Md€ sur
trois ans. On se félicitera que cette somme ait été intégrée à la trajectoire
des finances publiques.
Par contre, la suppression
intégrale de la Taxe d’Habitation supposera de trouver plus de 10 milliards
d’euros supplémentaires. A cette date, cette nouvelle annonce n’a pas été prise
en compte dans la trajectoire des comptes publics.
Extrait du
rapport Bur-Richard, 9 mai 2018 :
« En
valeurs 2016, le coût budgétaire toutes administrations publiques (APU) est
donc de 9,39 Md€. Si l’on procède à une extrapolation à 2020, le coût
budgétaire toutes APU sera compris entre 10,3 et 10,6 Md€. »
Le financement de la
suppression de la TH est très clairement un sujet d’inquiétude à l’APVF. Sur
quelles économies ces 10 milliards d’euros supplémentaires seront-ils imputés ?
L’APVF s’oppose à toute nouvelle ponction sur les budgets
des collectivités territoriales, déjà fragilisés par les baisses successives de
dotations et demande des précisions au Gouvernement.
La suppression intégrale
de la TH représenterait donc une perte de recettes estimée à 24,6 Md€ en 2020,
ce à quoi la mission Bur-Richard propose d’ajouter à l’instar du Comité des
finances locales, environ 1,7 Md€ de compensations d’exonérations.
Au final, le
montant global à compenser serait ainsi de 26, 3 Md€.
Il s’impose donc de
débattre très vite de cette question et statuer sur le réel montant de la
recette fiscale à compenser :
À l’APVF, nous avons
relevé que le rapport de la mission Bur-Richard s’est donné l’objectif de
garantir la « stricte neutralité financière » de la réforme
pour « chaque collectivité ».
Extrait du
rapport Bur-Richard, 9 mai 2018 :
« Quelle
que soit l’hypothèse retenue par le Gouvernement et le Parlement, la stricte
neutralité financière de la réforme devra être garantie pour chaque collectivité
concernée ».
Toutefois et en parallèle,
le rapport souligne que pour éviter des « choix opportunistes » en
2019 et 2020, la mission recommande d’appliquer aux bases de la dernière année,
et ce avant la suppression de la TH, les taux votés par les collectivités
territoriales en 2018.
Pour ce faire, des mesures
seraient prises dans le Projet de Loi de Finances 2019.
Extrait du
rapport Bur-Richard, 9 mai 2018 :
«
S’agissant de l’année de référence utilisée pour arrêter le montant de
la recette fiscale de TH à compenser, la mission recommande, pour éviter des
choix « opportunistes » en 2019 voire en 2020, d’appliquer aux bases de la
dernière année avant la fin de la suppression de la TH les taux votés par
les collectivités territoriales en 2018. De ce fait, une disposition
législative devra être prévue dès 2018, avant les votes de taux pour l’année
2019 (cf. calendrier en conclusion). »
Ces deux extraits du
rapport de la mission Bur-Richard sont à notre sens sens contradictoires. La
réforme ne sera donc pas neutre pour les budgets locaux, sauf à considérer que
la compensation n’est intégrale qu’après retraitement des choix
opportunistes ou effets d’aubaines.
Pour l’APVF, ce mécanisme
porte atteinte au pouvoir de décision des élus locaux sur la fixation des taux.
Certes, si nous ne défendons pas les choix opportunistes, et nous ne souhaitons
pas non plus que les collectivités territoriales qui ont légitimement augmenté
leurs taux (hausse dites « légitimes », Cf. proposition), en 2019 et
en 2020, soient pénalisées.
Plutôt que d’appliquer aux bases de la dernière année
avant la suppression de la TH, les taux votés en 2018, l’APVF propose de «
plafonner » la hausse des taux votés pour 2019 et 2020 ; pris en compte
pour le calcul du montant de la compensation.
Dans cet ordre d’idées, on pourrait ainsi imaginer :
Soit, d’appliquer aux bases de la dernière année avant la
suppression de la TH, les taux votés pour 2019 et 2020, mais dans la limite du taux
voté pour 2018 + x point (ex : 1 point).
Soit, d’appliquer aux bases de la dernière année avant la
suppression de la TH, les taux votés par les collectivités territoriales en
2018 + une majoration votée chaque année par le Parlement.
=> même si cette majoration uniforme pourrait
apparaître trop avantageuse aux collectivités, en particulier celles qui
n’auront pas augmenté les taux et qui bénéficieront tout de même d’une
compensation accrue.
Soit, d’appliquer aux bases de la dernière année avant la
suppression de la TH, les taux 2018 majorés par application du coefficient
de revalorisation forfaitaire des bases défini à l’article L. 1517 bis du
CGI.
=> peut-être plus complexe sans réel
avantage de cohérence.
Alors, quels scénarios
pour la substitution de la TH ?
L’APVF est favorable au premier
scénario de la mission Bur-Richard, c’est à dire le transfert de la part
départementale de la Taxe Foncière sur les Propriétés Bâties aux communes,
voire le bloc communal, et en complément éventuel, une fraction d’impôt
national non territorialisé. Cette fraction complémentaire serait potentiellement
sans pouvoir de taux de sorte qu’on n’accroisse pas les distorsions
territoriales.
Comme le niveau des taux
de taxe foncière des départements n’a pas de relation avec les produits de la
taxe d’habitation du bloc communal, il en résulterait mécaniquement des
communes et des EPCI surcompensés :
·
C'est-à-dire
qui disposeraient d’un produit supplémentaire de taxe foncière supérieur à leur
perte de Taxe d’Habitation ;
Comme d’autres communes
et EPCI sous-compensés :
· C’est
à dire potentiellement dotés d’un produit supplémentaire de taxe foncière
inférieur à leur perte de TH.
Ainsi,
pour garantir la compensation dédiée à chaque commune et EPCI, le transfert de
Taxe Foncière sur les Propriétés Bâties (TFPB) des départements rendrait
indispensable la création d’un mécanisme de garantie individuelle de
ressources, similaire à celui mis en œuvre lors de la suppression de la taxe
professionnelle. De la sorte, les collectivités surcompensées participeront à
ce Fonds National de Garantie Individuelle des Ressources
communales et intercommunales (FNGIR).
S’agissant de la mise en œuvre du mécanisme de garantie individuelle
des ressources afin de rétablir l’équilibre entre les communes « surcompensées
» et « sous-compensées », l’APVF s’oppose à la récupération par l’Etat des
excédents des communes et des EPCI « surcompensés » et de la redistribution des
excédents via le transfert d’une fraction d’impôt national (cas où
la modalité d’application « ter » était retenue).
Pour l’APVF, le FNGIR créé à l’issue de la suppression de la TH ne
doit pas être dégressif. Il faut une constante des montants de contribution
et de bénéfice, comme pour la taxe professionnelle.
À l’APVF, nous sommes plus
attentifs à la proposition de variante dite « bis » « 1er
scénario ». C’est à dire le transfert
de la part départementale de la TFPB aux seules communes.
Sur la méthode, ce serait
le transfert à chaque commune du taux de TFPB que leur département percevrait
sur son territoire.
Selon cette hypothèse :
·
la
proportion entre les communes sous-compensées et surcompensées seraient plus
équilibrées : - 4,3 Md€ contre 2,6 M€.
·
L’abandon
de la Taxe d’Habitation pour les EPCI serait compensé par le transfert d’une
fraction de TVA pour un montant de 7,4 Md€. Il est à souligner que les EPCI
perçoivent déjà une part de la Contribution Économique Territoriale (CET), composée de la cotisation
foncière des entreprises [CFE] et de la cotisation
sur la valeur ajoutée des entreprises [CVAE]. Par conséquent, faire appel à
une fraction complémentaire de TVA pour les EPCI serait en cohérence avec les
impôts économiques déjà perçus et corrélés à la valeur ajoutée.
De toutes ces données, il
résulte du constat que le transfert
de la part départementale de la Taxe Foncière sur les Propriétés Bâties aux
seules communes suffirait, quasiment à lui seul, à compenser la perte de la Taxe
d’Habitation des communes.
Enfin, pour compenser le complément utile pour valider l’équivalence
des recettes perçues par l’actuelle Taxe d’habitation, l’APVF ne s’oppose pas
au transfert d’une fraction d’impôt national aux communes, à condition que cette
contribution ne relève pas du territoire qui en serait bénéficiaire, de telle
sorte que les communes les plus fragiles ne décrochent plus encore. Ce
pourrait-être une dotation prélevée sur les recettes de TVA par l’État.
Dans ce scénario, la proportion de communes sous-compensées est certes supérieure
à la proportion de communes surcompensées. Un fonds national de garantie
individuelle des ressources (FNGIR) devra être nécessairement créé pour
rééquilibrer la situation.
Pour les petites villes (3 500 hab. à 20 000 hab.), le
montant du FNGIR s’élèverait à 904 millions d’euros et la fraction de TVA en
complément serait de 4,8 millions d’euros. Ces montants restent assez faibles
comparés aux autres scénarios.
Enfin,
la suppression intégrale de la TH vise à alléger la fiscalité des ménages relative
à la résidence principale. Pour l’APVF, comme pour la mission Bur-Richard, il n’est donc pas nécessaire de l’étendre à
la taxation des résidences secondaires et des logements vacants. En outre, la vacance des logements contribue
fortement à la désertion des centres-villes. L’imposition permet d’inciter à la
location ou la revente. C’est un vecteur de revitalisation des centres-villes
auquel l’APVF est très attachée.