mercredi 20 juin 2018

Réforme fiscale : quelles conséquences pour les collectivités ?

Club Finances – La Gazette des communes         Le 19 juin 2018
Intervention de Philippe Bonnin, représentant de l’APVF - Association des Petites Villes de France. Maire de Chartres de Bretagne, Conseiller Départemental.
L’Association des Petites Villes de France (APVF) a pris acte de la mesure de dégrèvement progressif de la Taxe d’Habitation pour les 80 % des ménages les plus modestes d’ici à 2020. Il en est de même en ce qui concerne la suppression annoncée de cet impôt local après 2020.
Les avis et déclarations relatifs de cette réforme sont aussi diverses que contradictoires. L’APVF qui rassemble des collectivités de sensibilités politiques très ouvertes mais qui savent se retrouver sur l’essentiel, se donne pour objectif premier de préserver nos communes et groupements des atteintes à l’autonomie financière et bien sûr fiscale. Parler d’autonomie, c’est là le sens de l’article 72-2 introduit dans la réforme constitutionnelle du 28 mars 2003.
Pourtant, force est de constater que ce n’est plus l’approche du législateur, comme du Conseil constitutionnel. J’ajouterai que si l’on s’en tient aux affirmations du Président la République, il n’y aurait pas d’inquiétude en la matière, puisque lors du Congrès des maires de France fin 2017, il s’est engagé à redonner aux communes leur « autonomie fiscale pleine et entière ».
Avant de développer notre point de vue et nos propositions, je tiens à rappeler que l’APVF a toujours considéré la Taxe d’Habitation comme un impôt inéquitable socialement, puisqu’il ne prend pas en compte la capacité contributive du résident, et injuste territorialement ; même si nous pouvons considérer qu’on n’a pas un retour identique de services aux administrés selon les territoires concernés. Enfin, chacun sait bien que les modes de calcul des bases, et par conséquent de la formation du produit à taux identique est très différente selon les communes.
Pour remédier à de telles lacunes, l’APVF plaide pour une « méthode douce » ; à savoir l’intégration dans l’assiette de la taxe d’habitation de tous les foyers fiscaux une part de revenu et la poursuite de la révision des valeurs locatives cadastrales pour tous les locaux à usage d’habitation.
Au-delà de toute considération, le Gouvernement a opté pour la méthode « dure », en décidant de la suppression de la taxe d’habitation … dont acte ! En l’état des discussions, la poursuite ou non de la révision des valeurs locatives reste entière.
De même, si le Ministre des comptes publics, comme la mission Bur-Richard plaident pour la réforme des bases pour les taxes foncières, aucune véritable annonce officielle n’a encore été faite à ce sujet.

L’APVF rappelle qu’elle n’a jamais soutenu la suppression de la Taxe d’Habitation.
L’APVF demande la poursuite de la révision des bases des taxes foncières.

Quel est notre point de vue sur la mesure de dégrèvement de la Taxe d’Habitation accordé à 80 % des ménages ?
Pour l’APVF, de toute évidence la mesure de dégrèvement doit être neutre dans les budgets locaux. Nous demandons par conséquent une compensation intégrale et pérenne dans le temps. C’est bien là tout le sens d’un dégrèvement décidé par autrui, en l’occurrence l’État. Je note que le Président de la République avait assuré aux maires, lors de la première Conférence Nationale des Territoires un remboursement à l’euro près du manque à gagner. La préservation de l’autonomie fiscale, ou plus exactement de la liberté de taux était réaffirmée.
Il avait également assuré que l’Etat prendrait à sa charge la part non payée par le contribuable local. Ainsi, notre cause était entendue. 
Malheureusement, l’article 5 de la loi de finances pour 2018 prend le contrepied des promesses. En effet, cet article 5 dispose que l’Etat n’assume le dégrèvement qu’à hauteur des taux appliqués pour les impositions dues au titre de 2017. Les hausses de taux seront par conséquent supportées par le contribuable local et non l’État.
Si l’on s’en tient à la définition retenue du dégrèvement législatif et aux annonces du Président de la République, de nombreux élus pensaient que l’État prendrait à sa charge les hausses de taux. Ils ont été évidemment surpris ... Euphémisme !

La définition du dégrèvement législatif - in Rapport public thématique de la Cour des comptes, Gestion de la fiscalité locale par la DGFiP de février 2017 :
Dans le cas d’un dégrèvement législatif, « les collectivités territoriales se voient garantir par l’État le produit de l’impôt tel qu’il figure au rôle. Si ce produit n’est pas perçu intégralement sur le contribuable du fait d’un dégrèvement d’origine législative ou de gestion, l’État prend à sa charge le versement aux collectivités de la différence entre la somme inscrite au rôle et le montant effectivement réglé par le contribuable ».

A cet effet, bien que plus de 87 % des élus des petites villes n’aient pas prévu d’augmenter les taux, Taxe d’Habitation compris en 2018, notez que l’APVF rappelle le besoin de lisibilité et de prévisibilité pour toutes nos collectivités territoriales.
Il en est de même pour les dotations, et contrairement à la promesse du Président de garantir une stabilisation individuelle des concours financiers de l’Etat pour chaque commune, pas moins de 16 000 d’entre elles ont subi la baisse de leur DGF en 2018.

Pour chaque décision financière et fiscale, L’APVF demande de la lisibilité et de la prévisibilité. L’information transmise aux collectivités par les services centraux et déconcentrés de l’Etat, ainsi que les préfectures doit être précise et régulière ;

La suppression intégrale de la Taxe d’Habitation à partir de 2020.
Cette mesure de dégrèvement progressif pour 80 % des ménages coûtera à l’Etat 10,1 Md€ sur trois ans. On se félicitera que cette somme ait été intégrée à la trajectoire des finances publiques.

Par contre, la suppression intégrale de la Taxe d’Habitation supposera de trouver plus de 10 milliards d’euros supplémentaires. A cette date, cette nouvelle annonce n’a pas été prise en compte dans la trajectoire des comptes publics.

Extrait du rapport Bur-Richard, 9 mai 2018 :
« En valeurs 2016, le coût budgétaire toutes administrations publiques (APU) est donc de 9,39 Md€. Si l’on procède à une extrapolation à 2020, le coût budgétaire toutes APU sera compris entre 10,3 et 10,6 Md€. »

Le financement de la suppression de la TH est très clairement un sujet d’inquiétude à l’APVF. Sur quelles économies ces 10 milliards d’euros supplémentaires seront-ils imputés ?

L’APVF s’oppose à toute nouvelle ponction sur les budgets des collectivités territoriales, déjà fragilisés par les baisses successives de dotations et demande des précisions au Gouvernement.

La suppression intégrale de la TH représenterait donc une perte de recettes estimée à 24,6 Md€ en 2020, ce à quoi la mission Bur-Richard propose d’ajouter à l’instar du Comité des finances locales, environ 1,7 Md€ de compensations d’exonérations.
Au final, le montant global à compenser serait ainsi de 26, 3 Md€.
Il s’impose donc de débattre très vite de cette question et statuer sur le réel montant de la recette fiscale à compenser :
À l’APVF, nous avons relevé que le rapport de la mission Bur-Richard s’est donné l’objectif de garantir la « stricte neutralité financière » de la réforme pour « chaque collectivité ».

Extrait du rapport Bur-Richard, 9 mai 2018 :
« Quelle que soit l’hypothèse retenue par le Gouvernement et le Parlement, la stricte neutralité financière de la réforme devra être garantie pour chaque collectivité concernée ».

Toutefois et en parallèle, le rapport souligne que pour éviter des « choix opportunistes » en 2019 et 2020, la mission recommande d’appliquer aux bases de la dernière année, et ce avant la suppression de la TH, les taux votés par les collectivités territoriales en 2018.
Pour ce faire, des mesures seraient prises dans le Projet de Loi de Finances 2019.

Extrait du rapport Bur-Richard, 9 mai 2018 :
« S’agissant de l’année de référence utilisée pour arrêter le montant de la recette fiscale de TH à compenser, la mission recommande, pour éviter des choix « opportunistes » en 2019 voire en 2020, d’appliquer aux bases de la dernière année avant la fin de la suppression de la TH les taux votés par les collectivités territoriales en 2018. De ce fait, une disposition législative devra être prévue dès 2018, avant les votes de taux pour l’année 2019 (cf. calendrier en conclusion). »

Ces deux extraits du rapport de la mission Bur-Richard sont à notre sens sens contradictoires. La réforme ne sera donc pas neutre pour les budgets locaux, sauf à considérer que la compensation n’est intégrale qu’après retraitement des choix opportunistes ou effets d’aubaines.
Pour l’APVF, ce mécanisme porte atteinte au pouvoir de décision des élus locaux sur la fixation des taux. Certes, si nous ne défendons pas les choix opportunistes, et nous ne souhaitons pas non plus que les collectivités territoriales qui ont légitimement augmenté leurs taux (hausse dites « légitimes », Cf. proposition), en 2019 et en 2020, soient pénalisées.

Plutôt que d’appliquer aux bases de la dernière année avant la suppression de la TH, les taux votés en 2018, l’APVF propose de « plafonner » la hausse des taux votés pour 2019 et 2020 ; pris en compte pour le calcul du montant de la compensation.
Dans cet ordre d’idées, on pourrait ainsi imaginer :
Soit, d’appliquer aux bases de la dernière année avant la suppression de la TH, les taux votés pour 2019 et 2020, mais dans la limite du taux voté pour 2018 + x point (ex : 1 point).
Soit, d’appliquer aux bases de la dernière année avant la suppression de la TH, les taux votés par les collectivités territoriales en 2018 + une majoration votée chaque année par le Parlement.
=> même si cette majoration uniforme pourrait apparaître trop avantageuse aux collectivités, en particulier celles qui n’auront pas augmenté les taux et qui bénéficieront tout de même d’une compensation accrue.
Soit, d’appliquer aux bases de la dernière année avant la suppression de la TH, les taux 2018 majorés par application du coefficient de revalorisation forfaitaire des bases défini à l’article L. 1517 bis du CGI.
=> peut-être plus complexe sans réel avantage de cohérence.

Alors, quels scénarios pour la substitution de la TH ?
L’APVF est favorable au premier scénario de la mission Bur-Richard, c’est à dire le transfert de la part départementale de la Taxe Foncière sur les Propriétés Bâties aux communes, voire le bloc communal, et en complément éventuel, une fraction d’impôt national non territorialisé. Cette fraction complémentaire serait potentiellement sans pouvoir de taux de sorte qu’on n’accroisse pas les distorsions territoriales.
Comme le niveau des taux de taxe foncière des départements n’a pas de relation avec les produits de la taxe d’habitation du bloc communal, il en résulterait mécaniquement des communes et des EPCI surcompensés :
·       C'est-à-dire qui disposeraient d’un produit supplémentaire de taxe foncière supérieur à leur perte de Taxe d’Habitation ;
Comme d’autres communes et EPCI sous-compensés :
·    C’est à dire potentiellement dotés d’un produit supplémentaire de taxe foncière inférieur à leur perte de TH.
Ainsi, pour garantir la compensation dédiée à chaque commune et EPCI, le transfert de Taxe Foncière sur les Propriétés Bâties (TFPB) des départements rendrait indispensable la création d’un mécanisme de garantie individuelle de ressources, similaire à celui mis en œuvre lors de la suppression de la taxe professionnelle. De la sorte, les collectivités surcompensées participeront à ce Fonds National de Garantie Individuelle des Ressources communales et intercommunales (FNGIR).

S’agissant de la mise en œuvre du mécanisme de garantie individuelle des ressources afin de rétablir l’équilibre entre les communes « surcompensées » et « sous-compensées », l’APVF s’oppose à la récupération par l’Etat des excédents des communes et des EPCI « surcompensés » et de la redistribution des excédents via le transfert d’une fraction d’impôt national (cas où la modalité d’application « ter » était retenue).
Pour l’APVF, le FNGIR créé à l’issue de la suppression de la TH ne doit pas être dégressif. Il faut une constante des montants de contribution et de bénéfice, comme pour la taxe professionnelle.

À l’APVF, nous sommes plus attentifs à la proposition de variante dite « bis » « 1er scénario ». C’est à dire le transfert de la part départementale de la TFPB aux seules communes.
Sur la méthode, ce serait le transfert à chaque commune du taux de TFPB que leur département percevrait sur son territoire.
Selon cette hypothèse :
·       la proportion entre les communes sous-compensées et surcompensées seraient plus équilibrées : - 4,3 Md€ contre 2,6 M€.

·       L’abandon de la Taxe d’Habitation pour les EPCI serait compensé par le transfert d’une fraction de TVA pour un montant de 7,4 Md€. Il est à souligner que les EPCI perçoivent déjà une part de la Contribution Économique Territoriale (CET), composée de la cotisation foncière des entreprises [CFE] et de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises [CVAE]. Par conséquent, faire appel à une fraction complémentaire de TVA pour les EPCI serait en cohérence avec les impôts économiques déjà perçus et corrélés à la valeur ajoutée.

De toutes ces données, il résulte du constat que le transfert de la part départementale de la Taxe Foncière sur les Propriétés Bâties aux seules communes suffirait, quasiment à lui seul, à compenser la perte de la Taxe d’Habitation des communes.

Enfin, pour compenser le complément utile pour valider l’équivalence des recettes perçues par l’actuelle Taxe d’habitation, l’APVF ne s’oppose pas au transfert d’une fraction d’impôt national aux communes, à condition que cette contribution ne relève pas du territoire qui en serait bénéficiaire, de telle sorte que les communes les plus fragiles ne décrochent plus encore. Ce pourrait-être une dotation prélevée sur les recettes de TVA par l’État.

Dans ce scénario, la proportion de communes sous-compensées est certes supérieure à la proportion de communes surcompensées. Un fonds national de garantie individuelle des ressources (FNGIR) devra être nécessairement créé pour rééquilibrer la situation.

Pour les petites villes (3 500 hab. à 20 000 hab.), le montant du FNGIR s’élèverait à 904 millions d’euros et la fraction de TVA en complément serait de 4,8 millions d’euros. Ces montants restent assez faibles comparés aux autres scénarios.


Enfin, la suppression intégrale de la TH vise à alléger la fiscalité des ménages relative à la résidence principale. Pour l’APVF, comme pour la mission Bur-Richard, il n’est donc pas nécessaire de l’étendre à la taxation des résidences secondaires et des logements vacants. En outre, la vacance des logements contribue fortement à la désertion des centres-villes. L’imposition permet d’inciter à la location ou la revente. C’est un vecteur de revitalisation des centres-villes auquel l’APVF est très attachée.