jeudi 7 juillet 2016

Repenser nos modèles de développement économique

Article paru dans le magazine :  Le Peuple Breton.
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Publié en page 4



La Bretagne gardera un très mauvais souvenir des années 2010 – 2016 en matière d’économie et d’emploi. Crises agricoles, agroalimentaires et industrielles. La filière automobile est évidemment concernée, mais elle n’a pas été la seule à connaître les effets de la grande dépression amorcée fin 2008. A la lecture des statistiques, nous pourrions certes convenir que l’emploi a moins souffert que dans les autres régions. En effet nous avons connu un taux de chômage inférieur (9%) à la moyenne française (10%). Le nombre d’emplois en 2015 n’a que très peu varié depuis 2010. Il s’est stabilisé à 1,3 million d’actifs au travail. Par contre les emplois industriels reculent : moins 1 200 sur la seule année de 2015 par rapport à la précédente. Les années antérieures ont été tout autant négatives pour les différents secteurs productifs. Par contre, cette tendance à la perte d’emplois industriels et agricoles est de fait compensée par le secteur tertiaire ; plus 7 400 emplois en 2015 ([1]). Ainsi, l’effectif en activité à partir de 2008 est dépassé, grâce aux activités de services qui ont accompagné la croissance de la population régionale ; 1,275 million d’actifs ayant un emploi en 2007 ; 1,3 en 2014 et 2015.
Au terme du 1er semestre 2016, la question essentielle est à nos yeux de savoir si nous sommes enfin entrés dans une nouvelle dynamique de reprise durable de l’économie. Et si tel est le cas, dans quelle situation se trouve alors la Bretagne pour s’engager dans un cycle vertueux de création de richesses pour tous ses habitants.
En premier lieu, il convient d’accorder un crédit très relatif aux politiques d’austérité inégalitaire, instaurée par l’actuel gouvernement ; ses prédécesseurs n’étant certes pas exempts de responsabilités sur le sujet. De même, ce n’est pas plus la saignée budgétaire imposée aux collectivités par l’Etat, lui-même mis sous la tutelle des politiques monétaristes européennes qui en est la cause. En réalité, c’est d’abord l’oxygène que nous a apporté la dévaluation de l’euro (- 20% face au dollar), engagée grâce à l’action de la Banque Centrale Européenne ([2]) depuis 2012. Le ralentissement économique des pays émergents - BRICS ([3]) - recentre également les foyers de développement dans les pays industriels historiques. Ainsi, nous sommes entrés dans une nouvelle configuration qui redonne manifestement quelques bonnes couleurs à la zone euro. C’est un contexte qui nous offre enfin des marges nouvelles de compétitivité et qui pourrait nous permettre en pareil cas d’enregistrer des relocalisations industrielles, grâce entre autres à la dévaluation compétitive de la monnaie communautaire. Toutefois, le chemin sera très long et nous ne serons jamais à l’abri d’autres évènements économiques défavorables à la tendance de reprise actuelle. Toute la vigilance s’impose ; et plus que jamais restons mobilisés pour reprendre l’initiative.

Il convient maintenant de profiter de cette embellie perceptible pour ne pas reproduire les erreurs dont on sait ce qu’elles nous ont coûté en désinvestissements, délocalisations, recul de la valeur ajoutée, pertes de compétitivité technologique et de ressources partagées … Les crises fragmentent systématiquement le corps social et les plus fragiles restent alors sur la touche.
Cependant, il est heureux qu’à ce stade, plusieurs atouts forts bien attachés à l’identité de la Bretagne n’aient été que peu altérés :
· l’attractivité et la qualité de vie dont les effets restent le dynamisme démographique (un solde migratoire positif),
· une politique territoriale encore lisible et équilibrée à cette date, mais sous condition qu’on abroge les concepts ségrégationnistes entre territoires, issus des récentes lois de réformes imposées par l’Etat,
· la dynamique entrepreneuriale d’une société bretonne dont les réflexes de solidarité et l’esprit collaboratif sont moins altérés que dans certains autres bassins de vie en France.
Ce sont là des critères de « bonne fertilité » pour mettre en exergue l’indéniable esprit d’initiative collective, d’imagination et d’innovation. Les bretons ont toujours su démonter qu’ils avaient toutes les capacités nécessaires pour se prendre en main et maîtriser leur destin.
S’il est possible de développer de telles synergies, il convient de retrouver le juste équilibre entre toutes les activités et emplois qui interfèrent en complémentarité : Emplois de production, d’études, de recherche et développement ; Et bien évidemment, tous les services ont leur place, qu’ils soient d’intérêt économique (les emplois marchands), éducatif, social ou de gestion des services publics.

Faut-il rappeler que nos économies territoriales ne peuvent en effet s’en tenir qu’à la seule présence des fonctions tertiaires de services et d’études. Même si de telles activités sont toutes aussi fondamentales les unes que les autres dans le jeu complexe de l’équilibre des moyens nécessaires au développement économique d’avenir, les activités productives doivent disposer de la juste place qui leurs revient pour construire de véritables chaînes de valeur, pourvoyeuses d’emplois diversifiés.
C’est donc tout un écosystème que nous avons à redéployer au moyen d’une politique de développement économique qui ne peut se contenter d’un simple colmatage des impacts négatifs laissés par les crises récentes. Les acteurs socio-économiques se doivent aujourd’hui de reconstruire le modèle en partant des atouts spécifiques des territoires, portés par leurs habitants en vue de fonder un autre projet. A ce stade, la concertation devient indispensable pour repenser des modèles qui mobilisent les acteurs et conduire une stratégie qui s’agrégera autour de choix technologiques, mais aussi des ingénieries de formation partagées et de financement des projets. Enfin, cette approche n’a aucune chance d’aboutir dans le cadre de schémas centralisés, administratifs et technocratiques, tels qu’ils tendent à s’imposer dans les actuelles politiques publiques. Nos décideurs d’Etat ont tourné le dos à la concertation et la coopération avec les acteurs des territoires.
                                                                                       Philippe Bonnin


([1]) – Cf le Bulletin de Conjoncture pour la Bretagne. Insee – mai 2016.
([2]) - Le « Quantitative Easing ». Il s’agit d’une politique de dernier recourt engagée début 2012 par Mario Draghi. Les banques centrales augmentent la masse monétaire en rachetant des dettes institutionnelles (dettes publiques ou bancaires principalement). La chute des taux d’intérêt est un levier concomitant qui contribue à la dépréciation de la monnaie concernée. C'est l’option choisie lorsque les autres méthodes de relance économique sont devenues inefficaces.
([3]) BRICS : Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud.