vendredi 27 septembre 2013

La sortie de crise ne concerne toujours pas l’automobile


Septembre  2013

De l’économie mondialisée à l’économie locale : analyse et propositions de ré-industrialisation



Dans un contexte économique aussi dégradé qu’actuellement, le moindre indice susceptible de donner l’espoir d’une reprise, si mince soit-elle, alimente toutes les spéculations et bien évidemment les polémiques. Ainsi va l’économie française, comme tant d’autres en Europe.
Répit ou reprise ?

La très modeste croissance annoncée (+ 0,5%) du Produit Intérieur Brut
- PIB - au second trimestre 2013 en France est d’abord liée à la nécessité d’assurer le minimum d’activités économiques dont a besoin l’Europe pour la seconde partie de l’année et espérons le au-delà... Durant toute la fin de 2012 et début 2013, faute de liquidités, les opérateurs économiques ont considérablement réduit leurs stocks de biens intermédiaires mais aussi de consommation. Bien qu’il s’agisse de faits essentiellement conjoncturels, osons penser que la reprise ne soit pas un leurre de plus. Heureusement, d’autres informations renforcent l’idée d’un changement plus en phase dans la durée. D’après le Fonds Monétaire International, plusieurs indicateurs laisseraient penser que se dessine la perspective d’un nouveau cycle de croissance mondiale. A ce stade, c’est la meilleure nouvelle qu’on puisse entendre et chacun doit au moins s’en féliciter.
Notons aussi que dans le secteur de la production industrielle et notamment de la sous-traitance, les émergents ([1]) ne sont plus au mieux de leur forme dans la conquête effrénée des marchés. C’est une situation nouvelle qui nous renvoie quelques volumes d’activités supplémentaires et par conséquent des relocalisations ponctuelles de fabrications. Avec des coûts de production qui progressent très vite, des niveaux de qualité qui décrochent dans le contexte de conflits sociaux très complexes et donc difficiles à régler, plusieurs pays émergents se préparent à connaître des turbulences. Depuis le début 2013, ces nouveaux foyers d’instabilité laissent déjà transparaître quelques inquiétudes sur les marchés financiers. Leur fébrilité trouve une part d’explications dans la sortie plus que significative de capitaux présents dans ces pays. En effet, les transferts en cours font déjà redouter une crise de liquidités dans certaines économies. De manière plus intrinsèque, ce serait les effets d’une croissance rapide et très déséquilibrée entre les différents secteurs d’activités qui susciterait des doutes sur la pérennité du modèle de développement de ces nouveaux pays industriels. Le ralentissement de la croissance économique européenne enregistrée sur 2012 puis début 2013 n’y est évidemment pas étranger.

Avec la rentrée et l’expression des doutes habituels, mais somme toute assez classiques, les milieux d’affaires sont aussi très attentifs aux effets de la réduction des rachats d’actifs de la Banque Fédérale (FED) des Etats Unis. Le soutien moins dynamique de la FED à l’économie américaine fera probablement ralentir les importations des Etats-Unis, dont une part conséquente vient des émergents.
Concrètement, la Banque Fédérale prend acte ou plutôt anticipe le redressement de la compétitivité des entreprises américaines. Est-ce là une nouvelle page de l’histoire des relations économiques internationales ? Nous le saurons très vite. Mais d’ores et déjà, il est utile de rappeler que l’Amérique du Nord s’est engagée dans une stratégie de réduction des coûts de production à marche forcée, dont ceux relatifs à l’énergie. A ce propos, si les résultats positifs concernant l’exploitation des gaz « non conventionnels » de schistes sont à court terme clairement avérés, il n’en demeure pas moins vrai que l’impact des techniques d’extraction sur l’environnement induit de lourdes conséquences, voire d’hypothèques pour l’avenir.

En matière d’économie, les prédictions ne sont jamais certaines et la mesure doit être la règle à propos de toute interprétation des évènements. Toutefois, il convient d’anticiper et préparer les retournements de situation possibles. C’est un sujet que nous avons plus antérieurement abordé pour la filière automobile lors de plusieurs points de vue développés ; entre autres avec le livre blanc de l’ACSIA ([2]) au 1er semestre 2012.

Mais la réalité, c’est d’abord et toujours le constat du faible niveau de la production industrielle de l’hexagone. Celui-ci reste au plus bas. Selon Eurostat, l’activité industrielle aurait reculé de 0,3% en France sur un an, contre une progression de 2,4% en Allemagne et + 2,1% en Grande Bretagne. Quant au chômage, nous frôlons les 3,3 millions de demandeurs d’emplois inscrits. Avec de tels chiffres, il reste encore bien difficile de démontrer qu’il se produit enfin le « véritable changement » structurel, conséquence directe de la mise en place d’une nouvelle politique économique.

Erreurs et nécessaire repositionnement ; Pour une politique économique bien plus volontariste

En ces heures difficiles pour les millions de français confrontés aux affres du chômage et de la précarité, ne serait-il pas opportun de faire preuve d’un peu plus de prudence quant à l’interprétation de ces quelques variations en pourcentage du Produit Intérieur Brut ? En effet, rien ne prouve qu’à ce stade il se dégage un changement fondamental de tendance des indicateurs de la production et bien sûr de la création d’emplois, même si l’Europe semble se porter un peu mieux. Il n’en demeure pas moins que c’est une inflexion encourageante et dont il est toujours possible de faire le meilleur usage pour redonner un peu de confiance, tellement utile au pays.
Par contre, une telle option de communication doit nécessairement s’inscrire dans un projet qui ne peut se résumer à la seule purge qu’on fait subir à l’économie française depuis des mois en restreignant la consommation et les investissements. A propos de purge ou de rigueur, qui ose croire que nous allons résorber la dette accumulée depuis les années 70 au moyen de quelques restrictions budgétaires publiques et de l’inflation fiscale ? Cette dette avoisine aujourd’hui les 2 000 milliards d’euros ([3]). Elle est tout autant alimentée par la dépense publique dont chacun profite que par le secteur marchand, bénéficiaire de soutiens directs, comme indirects dans un environnement concurrentiel international qui l’impose toujours plus. In fine, toutes ces accumulations de dettes sont invariablement reprises dans les comptes publics des Etats, via l’ensemble des réseaux de financement et les prêteurs de dernier ressort que sont les banques centrales. Sur ce point, l’analyse de l’institut statistique européen - Eurostat - est instructive lorsqu’elle montre que tous les pays contraints de mettre en place des politiques d’austérité ont systématiquement vu leur dette s’aggraver, alors même que la dépense publique reculait sous l’effet des restrictions budgétaires. C’est un constat qui montre à ceux qui l’avaient trop vite oublié que la dépense publique est aussi un facteur de création de valeur comptabilisée dans le PIB. Ainsi, les conseils assénés par la « troïka », formée d’experts « hautement certifiés » de la Banque Centrale Européenne, de la Commission Européenne et du Fonds Monétaire International nous laissent bien interrogatifs quant à leur pertinence. Bon élève, la France qui applique depuis le second trimestre 2012 cette politique préconisée par la Troïka, vient d’enregistrer une progression de sa dette à hauteur de 2,5 milliards d’euros durant le premier semestre 2013.
Pour conclure à l’occasion de cette rentrée 2013, il aura été particulièrement instructif d’entendre le Fonds Monétaire International demander enfin le desserrement de la rigueur en France. Il est tout aussi instructif d’entendre des responsables gouvernementaux se ranger à cet avis. N’est-ce pas là une certaine forme d’aveu ou de doutes sur la politique conduite depuis des mois ?

L’inquiétante désindustrialisation de la France

Dans les années 2000, l’accès facile aux capitaux a encouragé une économie patrimoniale de caractère spéculatif. Comme chacun le sait maintenant : un tel système a montré ses pires travers aux Etats-Unis avec l’éclatement de la crise des crédits hypothécaires à taux variables lors du second semestre 2008 (les « subprimes »). Cette construction financière complexe pour laquelle nos banques d’affaires maîtrisent l’art à la perfection, a capté des masses considérables de capitaux. Cette captation quasi forcée s’est opérée au détriment des besoins de financement des investissements productifs, certes moins rémunérateurs à court terme. A l’issue du choc économique généré par les subprimes dont l’ampleur est inégalée depuis 1945, tous les tenants du modèle en sont revenus à la raison pour convenir que les investissements dédiés aux secteurs primaires, manufacturiers ainsi qu’aux nouvelles technologies concourent de manière décisive à la compétitivité d’une économie. De cette douloureuse histoire des années 90 - 2000, les grands foyers historiques du Mid-Ouest industriel américain ne se sont pas encore remis ([4]).
Pendant ce temps, le phénomène de désindustrialisation qui s’était ralenti dans les années 90 en France n’en a été que plus activement relancé. Le renchérissement des biens patrimoniaux a mécaniquement ponctionné une part croissante des revenus dédiés au logement des familles et conduit à l’endettement des ménages, voire plus à leur appauvrissement. En ce qui concerne la contraction des ressources disponibles une fois payé le loyer, ce sont d’abord et évidemment les locataires qui ont le plus souffert. Sous l’effet de la pression du coût du logement, les mouvements sociaux des années 2000 ont alors poussé à l’ajustement progressif des salaires et indirectement aux reports de la réforme des dispositifs réputés alourdir le coût du travail, tel que par exemple : les mécanismes de protection sociale, les retraites et l’assurance chômage. Précisons bien que de notre point de vue, la légitimité des mouvements sociaux demeure une pièce maîtresse de l’organisation d’une société en mutation comme les nôtres. Il s’agit d’une dynamique complexe qui concourt à établir un jeu d’équilibres entre les acteurs dont les intérêts sont tout autant liés qu’antinomiques. Par contre, dans le contexte du débat social des années 2000, il est important de souligner que la progression du coût du travail ne s’est jamais inscrite dans le rythme des enchaînements spéculatifs du marché immobilier. C’est l’une des explications qui justifie le faible niveau d’inflation constaté, hors valeurs patrimoniales durant toute la période.
Pour terminer le raisonnement et s’appuyant sur les fondements de notre interprétation de la situation des années 2000, il est donc normal que l’évolution des coûts sociaux soit devenue plus importante dans les pays touchés par la fièvre immobilière, entre autres au sein de la zone Euro (l’Europe du Sud certes mais également la France). Tel n’a pas été le cas dans les pays qui ont su privilégier des politiques industrielles dynamiques, tout en maîtrisant au mieux la spéculation patrimoniale. Contrairement aux idées reçues, il est utile de noter que la modération salariale dans le secteur manufacturier, dont celui de la construction automobile en France est resté en-deçà des salaires de l’industrie mécanique d’outre-Rhin (cf le livre blanc de l’ACSIA - page 16 et suivantes). La progression plus significative du coût du travail, tertiaire compris, et par conséquent le renchérissement des biens manufacturés a été un puissant levier pour inciter aux délocalisations industrielles du fait de la perte réelle, et bien des fois seulement supposée de la compétitivité. La traduction dans une économie ouverte est parfaitement connue : c’est la fuite des capitaux et la remontée des taux d’intérêts. Avec cet objectif d’endiguer au moins partiellement le phénomène de l’évasion des avoirs financiers, les Etats qui ont laissé prospérer une telle fièvre immobilière ont été contraints de limiter la répercussion des charges par la baisse d’impôts et de multiples prélèvements. En contrepartie, ils ont eu massivement recours à l’endettement par l’émission d’obligations d’Etat pour assurer le financement des politiques publiques, dont l’essentiel concerne la solidarité, les infrastructures et les équipements publics.
Pire, en cette période de concurrence totalement dérégulée, le dumping fiscal est devenu monnaie courante pour limiter les effets de la perte de compétitivité relative entre les territoires ; essentiellement liée aux coûts sociaux. Autant dire que l’économie des Euro-périphériques s’en est trouvée plus que mise à mal avec l’explosion de la dette publique et la remontée des taux d’intérêts qui s’en est suivie. Sans disposer de la possibilité de déprécier les encours de dettes au moyen d’une dévaluation monétaire pour compenser l’inflation des coûts devenus pénalisants à l’exportation, l’économie des Euro-périphériques est entrée dans une spirale récessionniste et par conséquent de l’échec. La France n’a pas fait exception. Nous en mesurons aujourd’hui les dégâts économiques et sociaux dans la sphère productive.
Dans ce contexte récessif, que les banques centrales rachètent ([5]) les dettes irrécouvrables des opérateurs économiques, via les institutions financières de toutes catégories est devenu chose incontournable. C’est clairement ce que font depuis quatre ans les grandes puissances économiques pour sauver l’édifice financier international, pilier indispensable de tout modèle de développement et dont personne ne contestera le rôle stratégique. Elles le font d’autant mieux que ces puissances restent libres du carcan monétaire propre à la zone Euro. En clair, les argentiers et dirigeants européens auraient-ils encore cette illusion bien entretenue de faire payer les dettes accumulées depuis 40 ans aux seuls Etats débiteurs, responsables de « l’incurie financière » et in fine aux contribuables de ces pays ? C’est strictement impossible. Le siècle n’y suffirait pas et toutes les thérapies de ce genre ont démontré qu’elles étaient autrement plus préjudiciables que le mal contre lesquelles on les administre. L’Amérique Latine en avait déjà fait l’expérience dans les années 70 ; justement sous la houlette des experts du FMI de l’époque. De ce point de vue, reconnaissons au président de la Banque Centrale Européenne sa capacité à faire preuve d’autorité et d’un pragmatisme plus qu’opportun en rachetant une part des créances bancaires irrécouvrables pour éviter l’effondrement systémique de l’organisation monétaire et financière européenne. En attentant qu’on repense le modèle, c’était la seule issue possible. Sans une telle initiative, où en serions-nous arrivés depuis un an et demi ?

Le choix de la solidarité pour sauver l’Europe

Le phénomène d’accumulation des dettes n’a rien de nouveau. Tôt ou tard, il faudra envisager leur extinction progressive au moyen d’un ajustement gradué des monnaies et selon des délais à établir. Mais en attendant, pour le plus grand bonheur des autres devises internationales de référence, la zone Euro reste totalement incapable de prendre ce virage. Force est de constater qu’elle reste engluée dans l’hétérogénéité de ses économies régionales dont les fondamentaux et les orientations sont plus que jamais divergents. La monnaie, c’est d’abord le reflet d’un espace économique construit sur les bases d’une organisation cohérente et autant que faire ce peu : homogène et solidaire. Au demeurant, précisons que dans cette Europe de tous les contraires, il n’y a pas les bons et les mauvais élèves (les « euro-centrés » contre les « euro-périphériques »). Il y a ceux qui ont bâti une stratégie efficace de conquête des marchés dans et hors d’Europe et ceux qui avancent sans véritable fil conducteur, mais en considérant à tort que l’Union Européenne est encore un filet protecteur. Les premiers avancent de fait au détriment des seconds. La zone Euro de 2013 est tout sauf un modèle de solidarité, puisque les règles qui correspondaient à la logique de construction d’un espace monétaire unique n’ont jamais fait l’objet de cadres clairs et acceptés par tous. Elle ne peut donc survivre sans la mise en œuvre de cette solidarité dont les Etats les plus avantagés par la rigidité du système en place ne veulent surtout pas ; et pour cause, le modèle correspond parfaitement à leurs désidérata individuels et de toute évidence initiaux. En attendant, et avec son actuelle parité, l’Euro même modestement à la baisse, devient le pire poison qu’on puisse infliger aux Etats les plus fragiles de la zone monétaire.
Pour les Etats qui sont en position de force (l’Euro-centre), il sera très douloureux de restaurer une zone Euro à bout de souffle, même si elle conforte pour quelques temps encore leur avantage, tant qu’il y aura un niveau soutenable d’activité dans et hors d’Europe ; pour l’essentiel chez les émergents ([6]). Par contre, si le fléchissement de l’économie de ces derniers se confirme, la situation nécessitera d’opérer une véritable redistribution des fruits de leur croissance (des pays de l’Euro-centre) si l’on veut restaurer à minima l’économie au profit des peuples et donc de la solidarité avec l’unique but d’impulser une nouvelle dynamique de développement économique plus régionale ; c'est-à-dire intra-européenne. En évoquant ceci, nous sommes bien conscients qu’il y a nombre de malentendus sur la finalité que chacun donne aujourd’hui à l’économie européenne.
En tout état de cause, c’est aux gouvernants de s’armer de toute la clairvoyance utile et de prendre enfin les responsabilités fondamentales qui s’imposent. En l’absence de tels choix, demain sera un autre monde dont nous gardons trop d’exemples tirés des crises sociales et géopolitiques du passé.

Plus que jamais, nous savons ce que représente l’échec du modèle européen libéral dans la crise en cours. Il n’est pas de trop de dire qu’il est en parfaite contradiction avec l’esprit des années 50 et 60, tel qu’insufflé par les pères fondateurs ([7]). Aujourd’hui, nous savons ce que cet échec représente en tourments pour tant de familles, de petites et moyennes entreprises et leurs salariés. C’est également le cas pour toutes les politiques publiques de proximité dédiées à la solidarité et au financement des équipements structurants, ainsi qu’aux services générateurs de développement et de lien social dans les territoires.

La réalité Brétillienne de la crise économique

En attendant la reprise, l’économie productive continue à fléchir dangereusement dans les territoires. Nos départements de l’Ouest n’échappent plus à cette dégradation des indicateurs malgré une dynamique économique qui avait permis de mieux résister aux mutations jusqu’à la fin des années 2000. Cette histoire de l’Ouest reste indissociable du demi-siècle que fut l’épopée européenne, empreinte de politiques d’investissements volontaristes, dédiés à la formation, la recherche et l’aménagement des territoires.
Dans le secteur de l’agriculture et des industries agroalimentaires, la crise se répand à toutes les strates des filières animales, voire végétales. En revanche, les secteurs de l’industrie des biens dédiés aux investissements institutionnels publics ou privés et dont les stratégies sont très internationales se portent plutôt mieux, ou moins mal. Qu’il s’agisse de l’aéronautique, du ferroviaire (pour le peu qui reste), de l’armement ou des grands chantiers navals. Le machinisme agricole très ouvert à l’export, comme les constructeurs de biens d’équipements dédiés au bâtiment et travaux publics semblent tenir encore le cap.

Quelle est la situation de la construction automobile Française à mi-2013 ? La réponse est sans appel. Les chiffres sont inférieurs à ceux de l’année noire que fut 2009 … Selon le réseau de consultants internationaux IHS (juillet 2013), la production automobile nationale devrait se situer autour de 1,7 million de véhicules en 2013, alors que la moyenne sur les 12 dernières années était de 2,9 millions de voitures. La publication des chiffres du mois d’août montrent que la tendance se poursuit avec des baisses de ventes et plus encore de fabrications.

Au beau milieu de la trêve estivale, comme plus récemment à l’occasion du salon international de Francfort, le plan de communication des constructeurs automobiles ne laissera personne indifférent. En substance, le message est simple : « les pertes sont divisées par deux … » et de dire que « nous sommes engagés sur la bonne voie … ». Nos constructeurs ne sont d’ailleurs pas les seuls à prétendre « tenir la reprise » ; les gouvernants distillent finalement des propos quasi similaires.

Comme nous l’avons développé précédemment, la réalité doit nous inciter à la plus grande prudence si l’on ne veut pas décevoir les centaines de milliers de salariés de la filière automobile française dont l’avenir personnel et collectif sera très vite scellé après la rentrée 2013. S’il y a une question essentielle que se posent aujourd’hui tous les acteurs des territoires, c’est bien de savoir précisément quels seront les exclus de la reprise annoncée.

Traduit d’une autre façon : dans l’actuelle complexité des informations reçues, toutes aussi contradictoires les unes que les autres, il s’agit de discerner quelles seront les usines promises à de belles perspectives et celles qu’on abandonnera au terme d’un long processus de désengagement, voire de démantèlement larvé, faute de capacités à investir ou de commandes pour les « faire tourner ». Concernant les arbitrages ; Plus qu’économique, le traitement du sujet est manifestement devenu politique. Comme jamais, il se situe dans la sphère des « géopolitiques régionales » décidées à l’échelon national. Autrement dit : il y a les territoires privilégiés et ceux qui ne le sont plus à la suite d’orientation prises dans le passé ([8]) ou d’une localisation moins opportune par rapport aux centres de décision dont on connaît la part croissante de subjectivité dans les choix. Les options arrêtées n’intégreront toujours qu’à la marge les critères jugés plutôt objectifs de productivité en termes de process et donc de maîtrise technologique. Forts d’une multitude d’exemples historiques, les arguments développés par les dirigeants ne sont en général que des prétextes plus ou moins mal étayés pour justifier la fermeture ici ou le maintien là. De telles décisions ne sont que rarement le fruit d’analyses finement étudiées et réfléchies quant à la réalité sociale et industrielle de chaque établissement. L’attention utile pour considérer la pertinence d’un établissement au cœur de son écosystème est bien souvent évacuée ; Sans le moindre état d’âme.

Réussir la sortie de crise ; Relever le défi de la ré-industrialisation.

Au stade où nous en sommes, ce ne sont plus les petits calculs des experts en finance et du management industriel qui vont régler le sort de la construction automobile française et tout particulièrement d’Ille et Vilaine. Tout le monde le sait : la filière automobile du département est au plus mal avec l’usine PSA de Chartres de Bretagne qui vient de passer en-dessous de son seuil de rentabilité en volumes fabriqués. Celui-ci est estimé à 110 000 véhicules / an ([9]). Ces faits posent clairement la question de notre propre capacité à mobiliser des investissements, tant publics que privés pour restaurer, et autant que faire ce peu, saisir des opportunités économiques d’avenir au moyen de technologies nouvelles et de stratégies ambitieuses. A l’issue d’un très rapide processus de déclin qui se déroule inexorablement sous nos yeux depuis huit années, il nous est permis de douter que PSA puisse engager seul une telle démarche avec ses propres capacités technologiques et financières. Dans l’actuelle configuration économique, il n’en a plus les moyens.

Que les dirigeants de PSA « pensent » à l’après 2015 - 2016 en promettant la pleine charge des usines est d’une certaine façon chose séduisante. Qui peut refuser de souscrire à de tels propos ? Mais à y regardez de plus près, de quel scénario s’agit-il ? On discerne encore bien mal comment un véritable retournement de conjoncture pourrait survenir dans l’actuel contexte dénué de toute ligne stratégique. Nous parlons bien sûr d’un retournement qui remettrait en selle tous les établissements industriels du groupe en moins de trois ans… Dans les faits, il y aura de la place pour certains, mais manifestement pas pour d’autres …

Sans changement de politique économique ou plutôt de volonté européenne, le potentiel industriel de nos territoires va se rétrécir un peu plus au gré des mois. On va continuer à fermer des usines à l’avantage d’autres puisqu’au final, quelque soit la réalité des coûts sociaux et fiscaux comparés de pays à pays et mis en exergue tous les jours, le premier indicateur de rentabilité d’une usine : c’est d’assurer sa pleine charge. Les coûts sociaux précités ne sont qu’une variable marginale qui joue seulement pour conforter la rentabilité globale. Enfin, il n’est pas de trop de rappeler que nous évoluons dans un marché mondial totalement ouvert, très concurrentiel et surtout : sans éthique sociale comme environnementale.

Au-delà de toutes les thèses sur la recomposition de la carte des sites d’industrie automobile à l’échelle mondiale, tout n’est pas défavorable à nos régions et territoires. Clairement, et tel que nous l’avons souligné au début de cette contribution, les émergents n’apportent plus les assurances de stabilité économique et géopolitique qu’on leur prêtait voici tout juste un an. Exprimé autrement, la prospérité promise dans les années 2000 pour les activités délocalisées n’est donc plus aussi nettement de mise.
Dans un paysage économique et social aussi altéré et de fait à reconstruire, ce sont autant de questions bien trop sérieuses pour laisser les seuls constructeurs automobiles à la manœuvre ; surtout lorsqu’ils échafaudent des choix non concertés, court-termistes et clairement défavorables à l’économie nationale, comme à nos territoires. Aujourd’hui, face au délitement industriel constaté, les pouvoirs publics ont toute la légitimité, pour ne pas dire le devoir, d’intervenir. Un devoir d’intervention justifié, parce que les politiques de développement de la mobilité relèvent essentiellement d’une responsabilité collective et donc du débat public, tant au niveau des usages que pour les localisations de fabrications. Sur ce dernier sujet, nous vous invitons à reprendre notre développement sur l’opportunité d’avoir un « Etat stratège » et tel qu’argumenté dans le livre blanc de l’ACSIA (Page 58 et suivantes).

En attendant, la production industrielle d’Ille et Vilaine, comme française décline. Si le débat sur les coûts sociaux reste un sujet récurrent qui mérite d’être revisité de façon constante, il ne règle rien dans l’immédiat. L’enjeu consiste à refonder les futurs horizons de l’industrie automobile et à mettre en œuvre tous les moyens qui éviteront les fermetures d’établissements. Ce sont des fermetures dont le coût économique et humain sera autrement plus élevé en matière de soutiens publics ; sans retour. Sans retour si nous les comparons à ce qu’il faudrait plus modestement apporter pour garder notre potentiel productif. Au-delà des déclarations, rien ne se fera sans la constitution d’une mobilisation collective en matière d’innovation et de développement des capacités productives de nos filières. Nous sommes persuadés que dans les domaines de l’innovation considérée sous des angles très larges (technologies innovantes, mutations énergétiques, nouvelles organisations, communication…), la France dispose encore d’atouts qu’elle n’a jamais su réellement mobiliser dans un monde en mutation continue et de ce fait particulièrement instable.

Le 10 septembre 2013,
Philippe Bonnin


([1])        Turquie, Brésil, Afrique du Sud, Indonésie, Inde, …
([2])        ACSIA - Association des Collectivités Sites d’industrie Automobile : Enrayer le déclin du
                     site automobile France – juin 2012.              http://www.leslivresblancs.fr/index.php?search=ACSIA&Go=Go

([3])        100 milliards d’euros en 1980
([4])        Chicago, Cleveland et bien sûr Détroit.
([5])        Prêteurs de dernier ressort
([6])        Les pays d’Europe Centrale et Orientale (PECO) ; Le Brésil, la Russie, l’Inde, la
              Chine et l’Afrique du Sud (BRICS)
([7])        Jean Monnet, Robert Schuman, Konrad Adenauer, Alcide de Gasperi, Paul-Henri
              Spaak, Joseph Bech et Johan Willem Beyen.
([8])        Le choix de spécialisations qui ne sont plus d’actualité en 2013 par exemple.
([9])        Voir Ouest France du 24 juillet 2013
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