Septembre 2013
De l’économie
mondialisée à l’économie locale : analyse et propositions de
ré-industrialisation
Dans un contexte économique aussi dégradé qu’actuellement, le moindre
indice susceptible de donner l’espoir d’une reprise, si mince soit-elle,
alimente toutes les spéculations et bien évidemment les polémiques. Ainsi va
l’économie française, comme tant d’autres en Europe.
Répit ou reprise ?
La très modeste croissance annoncée (+ 0,5%) du Produit Intérieur Brut
- PIB - au second trimestre 2013 en France est d’abord liée à la nécessité d’assurer le minimum d’activités économiques dont a besoin l’Europe pour la seconde partie de l’année et espérons le au-delà... Durant toute la fin de 2012 et début 2013, faute de liquidités, les opérateurs économiques ont considérablement réduit leurs stocks de biens intermédiaires mais aussi de consommation. Bien qu’il s’agisse de faits essentiellement conjoncturels, osons penser que la reprise ne soit pas un leurre de plus. Heureusement, d’autres informations renforcent l’idée d’un changement plus en phase dans la durée. D’après le Fonds Monétaire International, plusieurs indicateurs laisseraient penser que se dessine la perspective d’un nouveau cycle de croissance mondiale. A ce stade, c’est la meilleure nouvelle qu’on puisse entendre et chacun doit au moins s’en féliciter.
Notons aussi que dans le secteur de la production industrielle et
notamment de la sous-traitance, les émergents ([1])
ne sont plus au mieux de leur forme dans la conquête effrénée des marchés.
C’est une situation nouvelle qui nous renvoie quelques volumes d’activités
supplémentaires et par conséquent des relocalisations ponctuelles de
fabrications. Avec des coûts de production qui progressent très vite, des
niveaux de qualité qui décrochent dans le contexte de conflits sociaux très
complexes et donc difficiles à régler, plusieurs pays émergents se préparent à
connaître des turbulences. Depuis le début 2013, ces nouveaux foyers
d’instabilité laissent déjà transparaître quelques inquiétudes sur les marchés
financiers. Leur fébrilité trouve une part d’explications dans la sortie plus
que significative de capitaux présents dans ces pays. En effet, les transferts
en cours font déjà redouter une crise de liquidités dans certaines économies.
De manière plus intrinsèque, ce serait les effets d’une croissance rapide et
très déséquilibrée entre les différents secteurs d’activités qui susciterait
des doutes sur la pérennité du modèle de développement de ces nouveaux pays
industriels. Le ralentissement de la croissance économique européenne
enregistrée sur 2012 puis début 2013 n’y est évidemment pas étranger.
Avec la rentrée et l’expression des doutes habituels, mais somme toute
assez classiques, les milieux d’affaires sont aussi très attentifs aux effets
de la réduction des rachats d’actifs de la Banque Fédérale (FED) des Etats
Unis. Le soutien moins dynamique de la FED à l’économie américaine fera
probablement ralentir les importations des Etats-Unis, dont une part
conséquente vient des émergents.
Concrètement, la Banque Fédérale prend acte ou plutôt anticipe le
redressement de la compétitivité des entreprises américaines. Est-ce là une
nouvelle page de l’histoire des relations économiques internationales ?
Nous le saurons très vite. Mais d’ores et déjà, il est utile de rappeler que
l’Amérique du Nord s’est engagée dans une stratégie de réduction des coûts de
production à marche forcée, dont ceux relatifs à l’énergie. A ce propos, si les
résultats positifs concernant l’exploitation des gaz « non conventionnels » de schistes sont à court terme
clairement avérés, il n’en demeure pas moins vrai que l’impact des techniques
d’extraction sur l’environnement induit de lourdes conséquences, voire
d’hypothèques pour l’avenir.
En matière d’économie, les prédictions ne sont jamais certaines et la
mesure doit être la règle à propos de toute interprétation des évènements.
Toutefois, il convient d’anticiper et préparer les retournements de situation
possibles. C’est un sujet que nous avons plus antérieurement abordé pour la
filière automobile lors de plusieurs points de vue développés ; entre
autres avec le livre blanc de l’ACSIA ([2]) au 1er
semestre 2012.
Mais la réalité, c’est d’abord et toujours le constat du faible niveau
de la production industrielle de l’hexagone. Celui-ci reste au plus bas. Selon Eurostat, l’activité
industrielle aurait
reculé de 0,3% en France sur un an, contre une progression de 2,4% en Allemagne et + 2,1%
en Grande Bretagne. Quant au chômage, nous frôlons les 3,3 millions de
demandeurs d’emplois inscrits. Avec de tels chiffres, il reste encore
bien difficile de démontrer qu’il se produit enfin le « véritable
changement » structurel, conséquence directe de la mise en place d’une
nouvelle politique économique.
Erreurs et nécessaire repositionnement ; Pour une politique
économique bien plus volontariste
En ces heures difficiles pour les millions de français confrontés aux
affres du chômage et de la précarité, ne serait-il pas opportun de faire preuve
d’un peu plus de prudence quant à l’interprétation de ces quelques variations
en pourcentage du Produit Intérieur Brut ? En effet, rien ne prouve qu’à
ce stade il se dégage un changement fondamental de tendance des indicateurs de
la production et bien sûr de la création d’emplois, même si l’Europe semble se
porter un peu mieux. Il n’en demeure pas moins que c’est une inflexion
encourageante et dont il est toujours possible de faire le meilleur usage pour
redonner un peu de confiance, tellement utile au pays.
Par contre, une telle option de communication doit nécessairement
s’inscrire dans un projet qui ne peut se résumer à la seule purge qu’on fait
subir à l’économie française depuis des mois en restreignant la consommation et
les investissements. A propos de purge ou de rigueur, qui ose croire que nous
allons résorber la dette accumulée depuis les années 70 au moyen de quelques
restrictions budgétaires publiques et de l’inflation fiscale ? Cette dette
avoisine aujourd’hui les 2 000 milliards d’euros ([3]).
Elle est tout autant alimentée par la dépense publique dont chacun profite que
par le secteur marchand, bénéficiaire de soutiens directs, comme indirects dans
un environnement concurrentiel international qui l’impose toujours plus. In
fine, toutes ces accumulations de dettes sont invariablement reprises dans les
comptes publics des Etats, via l’ensemble des réseaux de financement et les
prêteurs de dernier ressort que sont les banques centrales. Sur ce point,
l’analyse de l’institut statistique européen - Eurostat - est instructive
lorsqu’elle montre que tous les pays contraints de mettre en place des
politiques d’austérité ont systématiquement vu leur dette s’aggraver, alors
même que la dépense publique reculait sous l’effet des restrictions
budgétaires. C’est un constat qui montre à ceux qui l’avaient trop vite oublié
que la dépense publique est aussi un facteur de création de valeur
comptabilisée dans le PIB. Ainsi, les conseils assénés par la
« troïka », formée d’experts « hautement certifiés » de la
Banque Centrale Européenne, de la Commission Européenne et du Fonds Monétaire
International nous laissent bien interrogatifs quant à leur pertinence. Bon
élève, la France qui applique depuis le second trimestre 2012 cette politique
préconisée par la Troïka, vient d’enregistrer une progression de sa dette à
hauteur de 2,5 milliards d’euros durant le premier semestre 2013.
Pour conclure à l’occasion de cette rentrée 2013, il aura été
particulièrement instructif d’entendre le Fonds Monétaire International
demander enfin le desserrement de la rigueur en France. Il est tout aussi
instructif d’entendre des responsables gouvernementaux se ranger à cet avis. N’est-ce
pas là une certaine forme d’aveu ou de doutes sur la politique conduite depuis
des mois ?
L’inquiétante désindustrialisation de la France
Dans les années 2000, l’accès facile aux capitaux a encouragé une
économie patrimoniale de caractère spéculatif. Comme chacun le sait
maintenant : un tel système a montré ses pires travers aux Etats-Unis avec
l’éclatement de la crise des crédits hypothécaires à taux variables lors du
second semestre 2008 (les
« subprimes »). Cette construction financière complexe pour
laquelle nos banques d’affaires maîtrisent l’art à la perfection, a capté des
masses considérables de capitaux. Cette captation quasi forcée s’est opérée au
détriment des besoins de financement des investissements productifs, certes
moins rémunérateurs à court terme. A l’issue du choc économique généré par les
subprimes dont l’ampleur est inégalée depuis 1945, tous les tenants du modèle
en sont revenus à la raison pour convenir que les investissements dédiés aux
secteurs primaires, manufacturiers ainsi qu’aux nouvelles technologies
concourent de manière décisive à la compétitivité d’une économie. De cette douloureuse
histoire des années 90 - 2000, les grands foyers historiques du Mid-Ouest
industriel américain ne se sont pas encore remis ([4]).
Pendant ce temps, le phénomène de désindustrialisation qui s’était
ralenti dans les années 90 en France n’en a été que plus activement relancé. Le
renchérissement des biens patrimoniaux a mécaniquement ponctionné une part
croissante des revenus dédiés au logement des familles et conduit à
l’endettement des ménages, voire plus à leur appauvrissement. En ce qui
concerne la contraction des ressources disponibles une fois payé le loyer, ce
sont d’abord et évidemment les locataires qui ont le plus souffert. Sous
l’effet de la pression du coût du logement, les mouvements sociaux des années
2000 ont alors poussé à l’ajustement progressif des salaires et indirectement
aux reports de la réforme des dispositifs réputés alourdir le coût du travail,
tel que par exemple : les mécanismes de protection sociale, les retraites
et l’assurance chômage. Précisons bien que de notre point de vue, la légitimité
des mouvements sociaux demeure une pièce maîtresse de l’organisation d’une société
en mutation comme les nôtres. Il s’agit d’une dynamique complexe qui concourt à
établir un jeu d’équilibres entre les acteurs dont les intérêts sont tout autant
liés qu’antinomiques. Par contre, dans le contexte du débat social des années
2000, il est important de souligner que la progression du coût du travail ne
s’est jamais inscrite dans le rythme des enchaînements spéculatifs du marché
immobilier. C’est l’une des explications qui justifie le faible niveau
d’inflation constaté, hors valeurs patrimoniales durant toute la période.
Pour terminer le raisonnement et s’appuyant sur les fondements de notre
interprétation de la situation des années 2000, il est donc normal que
l’évolution des coûts sociaux soit devenue plus importante dans les pays
touchés par la fièvre immobilière, entre autres au sein de la zone Euro (l’Europe
du Sud certes mais également la France). Tel n’a pas été le cas dans
les pays qui ont su privilégier des politiques industrielles dynamiques, tout
en maîtrisant au mieux la spéculation patrimoniale. Contrairement aux idées
reçues, il est utile de noter que la modération salariale dans le secteur
manufacturier, dont celui de la construction automobile en France est resté
en-deçà des salaires de l’industrie mécanique d’outre-Rhin (cf le
livre blanc de l’ACSIA - page 16 et
suivantes). La progression plus significative du coût du
travail, tertiaire compris, et par conséquent le renchérissement des biens
manufacturés a été un puissant levier pour inciter aux délocalisations
industrielles du fait de la perte réelle, et bien des fois seulement supposée
de la compétitivité. La traduction dans une économie ouverte est parfaitement
connue : c’est la fuite des capitaux et la remontée des taux d’intérêts.
Avec cet objectif d’endiguer au moins partiellement le phénomène de l’évasion
des avoirs financiers, les Etats qui ont laissé prospérer une telle fièvre
immobilière ont été contraints de limiter la répercussion des charges par la
baisse d’impôts et de multiples prélèvements. En contrepartie, ils ont eu
massivement recours à l’endettement par l’émission d’obligations d’Etat pour
assurer le financement des politiques publiques, dont l’essentiel concerne la
solidarité, les infrastructures et les équipements publics.
Pire, en cette période de concurrence totalement dérégulée, le dumping
fiscal est devenu monnaie courante pour limiter les effets de la perte de
compétitivité relative entre les territoires ; essentiellement liée aux
coûts sociaux. Autant dire que l’économie des Euro-périphériques s’en est
trouvée plus que mise à mal avec l’explosion de la dette publique et la
remontée des taux d’intérêts qui s’en est suivie. Sans disposer de la
possibilité de déprécier les encours de dettes au moyen d’une dévaluation
monétaire pour compenser l’inflation des coûts devenus pénalisants à
l’exportation, l’économie des Euro-périphériques est entrée dans une spirale
récessionniste et par conséquent de l’échec. La France n’a pas fait exception.
Nous en mesurons aujourd’hui les dégâts économiques et sociaux dans la sphère
productive.
Dans ce contexte récessif, que les banques centrales rachètent ([5])
les dettes irrécouvrables des opérateurs économiques, via les institutions
financières de toutes catégories est devenu chose incontournable. C’est
clairement ce que font depuis quatre ans les grandes puissances économiques
pour sauver l’édifice financier international, pilier indispensable de tout
modèle de développement et dont personne ne contestera le rôle stratégique.
Elles le font d’autant mieux que ces puissances restent libres du carcan
monétaire propre à la zone Euro. En clair, les argentiers et dirigeants
européens auraient-ils encore cette illusion bien entretenue de faire payer les
dettes accumulées depuis 40 ans aux seuls Etats débiteurs, responsables de
« l’incurie financière » et in fine aux contribuables de ces
pays ? C’est strictement impossible. Le siècle n’y suffirait pas et toutes
les thérapies de ce genre ont démontré qu’elles étaient autrement plus
préjudiciables que le mal contre lesquelles on les administre. L’Amérique
Latine en avait déjà fait l’expérience dans les années 70 ; justement sous
la houlette des experts du FMI de l’époque. De ce point de vue, reconnaissons
au président de la Banque Centrale Européenne sa capacité à faire preuve
d’autorité et d’un pragmatisme plus qu’opportun en rachetant une part des
créances bancaires irrécouvrables pour éviter l’effondrement systémique de
l’organisation monétaire et financière européenne. En attentant qu’on repense
le modèle, c’était la seule issue possible. Sans une telle initiative, où en
serions-nous arrivés depuis un an et demi ?
Le choix de la solidarité pour sauver l’Europe
Le phénomène d’accumulation des dettes n’a rien de nouveau. Tôt ou tard,
il faudra envisager leur extinction progressive au moyen d’un ajustement gradué
des monnaies et selon des délais à établir. Mais en attendant, pour le plus
grand bonheur des autres devises internationales de référence, la zone Euro
reste totalement incapable de prendre ce virage. Force est de constater qu’elle
reste engluée dans l’hétérogénéité de ses économies régionales dont les
fondamentaux et les orientations sont plus que jamais divergents. La monnaie,
c’est d’abord le reflet d’un espace économique construit sur les bases d’une
organisation cohérente et autant que faire ce peu : homogène et solidaire.
Au demeurant, précisons que dans cette Europe de tous les contraires, il n’y a
pas les bons et les mauvais élèves (les
« euro-centrés » contre les « euro-périphériques »). Il y
a ceux qui ont bâti une stratégie efficace de conquête des marchés dans et hors
d’Europe et ceux qui avancent sans véritable fil conducteur, mais en
considérant à tort que l’Union Européenne est encore un filet protecteur. Les
premiers avancent de fait au détriment des seconds. La zone Euro de 2013 est
tout sauf un modèle de solidarité, puisque les règles qui correspondaient à la
logique de construction d’un espace monétaire unique n’ont jamais fait l’objet
de cadres clairs et acceptés par tous. Elle ne peut donc survivre sans la mise
en œuvre de cette solidarité dont les Etats les plus avantagés par la rigidité
du système en place ne veulent surtout pas ; et pour cause, le modèle
correspond parfaitement à leurs désidérata individuels et de toute évidence
initiaux. En attendant, et avec son actuelle parité, l’Euro même modestement à
la baisse, devient le pire poison qu’on puisse infliger aux Etats les plus
fragiles de la zone monétaire.
Pour les Etats qui sont en position de force (l’Euro-centre), il sera très douloureux de restaurer une
zone Euro à bout de souffle, même si elle conforte pour quelques temps encore
leur avantage, tant qu’il y aura un niveau soutenable d’activité dans et hors
d’Europe ; pour l’essentiel chez les émergents ([6]).
Par contre, si le fléchissement de l’économie de ces derniers se confirme, la
situation nécessitera d’opérer une véritable redistribution des fruits de leur
croissance (des pays de
l’Euro-centre) si l’on veut restaurer à minima l’économie au
profit des peuples et donc de la solidarité avec l’unique but d’impulser une
nouvelle dynamique de développement économique plus régionale ;
c'est-à-dire intra-européenne. En évoquant ceci, nous sommes bien conscients
qu’il y a nombre de malentendus sur la finalité que chacun donne aujourd’hui à
l’économie européenne.
En tout état de cause, c’est aux gouvernants de s’armer de toute la
clairvoyance utile et de prendre enfin les responsabilités fondamentales qui
s’imposent. En l’absence de tels choix, demain sera un autre monde dont nous
gardons trop d’exemples tirés des crises sociales et géopolitiques du passé.
Plus que jamais, nous savons ce que représente l’échec du modèle
européen libéral dans la crise en cours. Il n’est pas de trop de dire qu’il est
en parfaite contradiction avec l’esprit des années 50 et 60, tel qu’insufflé
par les pères fondateurs ([7]).
Aujourd’hui, nous savons ce que cet échec représente en tourments pour tant de
familles, de petites et moyennes entreprises et leurs salariés. C’est également
le cas pour toutes les politiques publiques de proximité dédiées à la
solidarité et au financement des équipements structurants, ainsi qu’aux
services générateurs de développement et de lien social dans les territoires.
La réalité Brétillienne
de la crise économique
En attendant la reprise, l’économie productive continue à fléchir
dangereusement dans les territoires. Nos départements de l’Ouest n’échappent
plus à cette dégradation des indicateurs malgré une dynamique économique qui
avait permis de mieux résister aux mutations jusqu’à la fin des années 2000.
Cette histoire de l’Ouest reste indissociable du demi-siècle que fut l’épopée
européenne, empreinte de politiques d’investissements volontaristes, dédiés à
la formation, la recherche et l’aménagement des territoires.
Dans le secteur de l’agriculture et des industries agroalimentaires, la
crise se répand à toutes les strates des filières animales, voire végétales. En
revanche, les secteurs de l’industrie des biens dédiés aux investissements
institutionnels publics ou privés et dont les stratégies sont très
internationales se portent plutôt mieux, ou moins mal. Qu’il s’agisse de
l’aéronautique, du ferroviaire (pour
le peu qui reste), de l’armement ou des grands chantiers navals.
Le machinisme agricole très ouvert à l’export, comme les constructeurs de biens
d’équipements dédiés au bâtiment et travaux publics semblent tenir encore le
cap.
Quelle est la situation
de la construction automobile Française à mi-2013 ? La
réponse est sans appel. Les chiffres sont inférieurs à ceux de l’année noire
que fut 2009 …
Selon le réseau de consultants internationaux IHS (juillet 2013), la production
automobile nationale devrait se situer autour de 1,7 million de véhicules en
2013, alors que la moyenne sur les 12 dernières années était de 2,9 millions de
voitures. La publication des chiffres du mois d’août montrent que la tendance
se poursuit avec des baisses de ventes et plus encore de fabrications.
Au beau milieu de la trêve estivale, comme plus récemment à l’occasion
du salon international de Francfort, le plan de communication des constructeurs
automobiles ne laissera personne indifférent. En substance, le message est
simple : « les pertes sont
divisées par deux … » et de
dire que « nous sommes engagés sur
la bonne voie … ». Nos constructeurs ne sont d’ailleurs pas les
seuls à prétendre « tenir la
reprise » ; les gouvernants distillent finalement des propos
quasi similaires.
Comme nous l’avons développé précédemment, la réalité doit nous inciter
à la plus grande prudence si l’on ne veut pas décevoir les centaines de
milliers de salariés de la filière automobile française dont l’avenir personnel
et collectif sera très vite scellé après la rentrée 2013. S’il y a une question
essentielle que se posent aujourd’hui tous les acteurs des territoires, c’est
bien de savoir précisément quels seront les exclus de la reprise annoncée.
Traduit d’une autre façon : dans
l’actuelle complexité des informations reçues, toutes aussi contradictoires les
unes que les autres, il s’agit de discerner quelles seront les usines promises
à de belles perspectives et celles qu’on abandonnera au terme d’un long
processus de désengagement, voire de démantèlement larvé, faute de capacités à
investir ou de commandes pour les « faire tourner ». Concernant
les arbitrages ; Plus qu’économique, le traitement du sujet est
manifestement devenu politique. Comme jamais, il se situe dans la sphère des
« géopolitiques régionales » décidées à l’échelon national. Autrement
dit : il y a les territoires privilégiés et ceux qui ne le sont plus à la
suite d’orientation prises dans le passé ([8])
ou d’une localisation moins opportune par rapport aux centres de décision dont
on connaît la part croissante de subjectivité dans les choix. Les options
arrêtées n’intégreront toujours qu’à la marge les critères jugés plutôt
objectifs de productivité en termes de process et donc de maîtrise
technologique. Forts d’une multitude d’exemples historiques, les arguments
développés par les dirigeants ne sont en général que des prétextes plus ou moins
mal étayés pour justifier la fermeture ici ou le maintien là. De telles
décisions ne sont que rarement le fruit d’analyses finement étudiées et
réfléchies quant à la réalité sociale et industrielle de chaque établissement.
L’attention utile pour considérer la pertinence d’un établissement au cœur de
son écosystème est bien souvent évacuée ; Sans le moindre état d’âme.
Réussir la sortie de crise ; Relever le défi de la
ré-industrialisation.
Au stade où nous en sommes, ce ne sont plus les petits calculs des
experts en finance et du management industriel qui vont régler le sort de la
construction automobile française et tout particulièrement d’Ille et Vilaine.
Tout le monde le sait : la filière automobile du département est au plus
mal avec l’usine PSA de Chartres de Bretagne qui vient de passer en-dessous de
son seuil de rentabilité en volumes fabriqués. Celui-ci est estimé à
110 000 véhicules / an ([9]).
Ces faits posent clairement la question de notre propre capacité à mobiliser
des investissements, tant publics que privés pour restaurer, et autant que
faire ce peu, saisir des opportunités économiques d’avenir au moyen de
technologies nouvelles et de stratégies ambitieuses. A l’issue d’un très rapide
processus de déclin qui se déroule inexorablement sous nos yeux depuis huit
années, il nous est permis de douter que PSA puisse engager seul une telle
démarche avec ses propres capacités technologiques et financières. Dans
l’actuelle configuration économique, il n’en a plus les moyens.
Que les dirigeants de PSA « pensent » à l’après 2015 - 2016 en
promettant la pleine charge des usines est d’une certaine façon chose
séduisante. Qui peut refuser de souscrire à de tels propos ? Mais à y
regardez de plus près, de quel scénario s’agit-il ? On discerne encore
bien mal comment un véritable retournement de conjoncture pourrait survenir
dans l’actuel contexte dénué de toute ligne stratégique. Nous parlons bien sûr
d’un retournement qui remettrait en selle tous les établissements industriels
du groupe en moins de trois ans… Dans les faits, il y aura de la place pour
certains, mais manifestement pas pour d’autres …
Sans changement de politique économique ou plutôt de volonté européenne,
le potentiel industriel de nos territoires va se rétrécir un peu plus au gré
des mois. On va continuer à fermer des usines à l’avantage d’autres puisqu’au
final, quelque soit la réalité des coûts sociaux et fiscaux comparés de pays à
pays et mis en exergue tous les jours, le premier indicateur de rentabilité
d’une usine : c’est d’assurer sa pleine charge. Les coûts sociaux précités
ne sont qu’une variable marginale qui joue seulement pour conforter la
rentabilité globale. Enfin, il n’est pas de trop de rappeler que nous évoluons
dans un marché mondial totalement ouvert, très concurrentiel et surtout :
sans éthique sociale comme environnementale.
Au-delà de toutes les thèses sur la recomposition de la carte des sites
d’industrie automobile à l’échelle mondiale, tout n’est pas défavorable à nos
régions et territoires. Clairement, et tel que nous l’avons souligné au début
de cette contribution, les émergents n’apportent plus les assurances de
stabilité économique et géopolitique qu’on leur prêtait voici tout juste un an.
Exprimé autrement, la prospérité promise dans les années 2000 pour les
activités délocalisées n’est donc plus aussi nettement de mise.
Dans un paysage économique et social aussi altéré et de fait à
reconstruire, ce sont autant de questions bien trop sérieuses pour laisser les
seuls constructeurs automobiles à la manœuvre ; surtout lorsqu’ils
échafaudent des choix non concertés, court-termistes et clairement défavorables
à l’économie nationale, comme à nos territoires. Aujourd’hui, face au
délitement industriel constaté, les pouvoirs publics ont toute la légitimité,
pour ne pas dire le devoir, d’intervenir. Un devoir d’intervention justifié,
parce que les politiques de développement de la mobilité relèvent
essentiellement d’une responsabilité collective et donc du débat public, tant
au niveau des usages que pour les localisations de fabrications. Sur ce dernier
sujet, nous vous invitons à reprendre notre développement sur l’opportunité
d’avoir un « Etat stratège » et tel qu’argumenté dans le livre blanc
de l’ACSIA (Page 58 et suivantes).
En attendant, la production industrielle d’Ille et Vilaine, comme
française décline. Si le débat sur les coûts sociaux reste un sujet récurrent
qui mérite d’être revisité de façon constante, il ne règle rien dans
l’immédiat. L’enjeu consiste à refonder les futurs horizons de l’industrie
automobile et à mettre en œuvre tous les moyens qui éviteront les fermetures
d’établissements. Ce sont des fermetures dont le coût économique et humain sera
autrement plus élevé en matière de soutiens publics ; sans retour. Sans retour si nous les comparons à ce qu’il faudrait
plus modestement apporter pour garder notre potentiel productif. Au-delà des
déclarations, rien ne se fera sans la constitution d’une mobilisation
collective en matière d’innovation et de développement des capacités
productives de nos filières. Nous sommes persuadés que dans les domaines de
l’innovation considérée sous des angles très larges (technologies innovantes, mutations énergétiques, nouvelles
organisations, communication…), la France dispose encore d’atouts
qu’elle n’a jamais su réellement mobiliser dans un monde en mutation continue
et de ce fait particulièrement instable.
Le 10
septembre 2013,
Philippe Bonnin
([2]) ACSIA - Association des Collectivités
Sites d’industrie Automobile : Enrayer le déclin du
site automobile France – juin 2012. http://www.leslivresblancs.fr/index.php?search=ACSIA&Go=Go
site automobile France – juin 2012. http://www.leslivresblancs.fr/index.php?search=ACSIA&Go=Go